A la tête de la première fortune russe avant son arrestation, Mikhaïl Khodorkovsky s'était mis à défier ouvertement Vladimir Poutine.par Lorraine MILLOT
«Ma vocation n'était pas d'être un dissident! Je suis un homme d'affaires!» En juillet 2003, alors que les poursuites s'intensifiaient contre lui, Mikhaïl Khodorkovski avait lui-même souligné l'absurdité de son nouveau rôle de martyr. De fait: il est aujourd'hui la victime d'un arbitraire politique qui auparavant lui avait permis d'assembler la plus considérable fortune de Russie, estimée à 15 milliards de dollars avant son arrestation.
Né à Moscou en 1963 de parents ingénieurs, Mikhaïl Khodorkovski s'est lancé dans les affaires en tant que militant des Komsomol (les jeunesses communistes). Il a commencé petit, par l'importation de jeans ou d'ordinateurs, mais il a surtout su nouer très tôt des contacts hauts placés dans la hiérarchie du parti communiste et au Kremlin. Sa banque Menatep, qui fut l'une des toutes premières banques privées autorisées en URSS, a servi à placer à l'étranger les fonds de ministères ou de la compagnie d'Etat chargée des exportations d'armes. Tout cela se passait à l'époque en étroite connivence avec certains officiers du KGB, qui ont couvé ces premiers businessmen soviétiques.
Grâce aux premiers millions amassés par Menatep, Khodorkovski est l'un des oligarques de la cour de Boris Eltsine, qui profitent le plus des privatisations. En 1995, il met la main sur le groupe pétrolier Ioukos, payé au prix dérisoire de 350 millions de dollars. De Ioukos, il fait l'un des groupes pétroliers russes les plus efficaces. Mais Khodorkovski se fait d'abord connaître surtout pour son génie des montages financiers, qui permettent de filouter créanciers ou actionnaires minoritaires et de faire disparaître un maximum d'argent off-shore. «Micha est un manager extrêmement dur, reconnaissait sa deuxième épouse, Inna, dans une récente interview. Son principe pour apprendre à nager à quelqu'un: jetez-le dans l'eau! S'il surnage, c'est qu'il est bon. Sinon, qu'il se noie.»
A partir de 1999, Khodorkovski avait pourtant tenté de se convertir en manager à l'occidentale, jurant de faire de Ioukos le groupe «le plus transparent» de Russie. Fort de ses appuis aux Etats-Unis, c'est là qu'il avait commencé à dénoncer les magouilles politico-financières et la corruption ambiante au Kremlin. Il s'était mis à défier ouvertement Poutine, annonçant qu'il finançait désormais plutôt les partis d'opposition. Pour parachever sa mue, il s'apprêtait à vendre 25% de Ioukos à une major américaine. Le bruit courait déjà qu'il briguerait la place de Poutine en 2008. C'est à ce moment que le Kremlin l'a fait arrêter, en octobre 2003. Aussi digne et entêté qu'il était ambitieux, il a depuis assuré, du fond de sa prison: «Je ne regrette rien».