MOSCOU (AFP)
L'énoncé du jugement du milliardaire Mikhaïl Khodorkosvski, épilogue d'un procès considéré comme hautement "politique", a commencé lundi avant d'être suspendu, mais les avocats de l'ex-patron de Ioukos le disaient "de facto" déjà reconnu coupable de plusieurs chefs d'accusation.
"Le tribunal a établi que...": la juge Irina Kolesnikova a commencé ainsi la lecture du jugement de M. Khodorkovski et de son associé Platon Lebedev, tous deux accusés notamment de fraude et évasion fiscale "à grande échelle et en groupe organisé".
Mme Kolesnikova a lu lundi, pendant près de trois heures, moins d'un quart de l'énorme pile de feuilles qu'elle avait devant elle, avant d'annoncer une suspension jusqu'à mardi matin.
Le tribunal a notamment "établi", a-t-elle listé, l'évasion fiscale, l'acquisition frauduleuse de 44% de l'Institut des engrais, le détournement de fonds provenant des ventes d'engrais de la société Apatit, et la non-exécution des décisions de justice à propos d'Apatit et de l'Institut des engrais.
Ainsi, "le tribunal a de facto reconnu Khodorkovski coupable" des chefs d'accusation cités lundi, a relevé Me Evgueni Barou, l'un des avocats du fondateur du géant pétrolier.
"Il est évident que le verdict sera +coupable+, car le jugement reprend pratiquement point par point toutes les accusations du Parquet", a ajouté son confrère Iouri Chmidt.
Mais le tribunal n'a pas encore fini la lecture des chefs d'accusation (seulement six sur onze ont été énoncés), et surtout n'a pas encore fait état de l'examen des preuves. Enfin, il n'a pas encore formellement "reconnu" les accusés "coupables".
Pour le seul cas Apatit et notamment l'acquisition de 20% de son capital en 1994, représentant les accusations les plus graves, MM. Khodorkovski et Lebedev, qui plaident non coupables, sont passibles de dix ans de prison.
Au total, ils risquent jusqu'à 20 ans si les peines sont cumulées, à l'issue de ce procès de onze mois.
Le Parquet, lui, a requis 10 ans de prison. Et la plupart des experts s'attendent à une peine de cet ordre. Selon eux, les arguments de la défense, dénonçant un procès fabriqué, n'ont aucune chance d'être entendus.
Le verdict lui-même pourrait ne pas être annoncé avant plusieurs jours.
M. Khodorkovski, vêtu d'un jean, d'un polo noir et d'une veste vert foncé, a écouté très calmement l'énoncé du jugement, aux côtés de Platon Lebedev, dans la cage réservée aux accusés.
De temps en temps, souriant, il adressait un salut de la main à sa femme Inna, et ses parents Marina et Boris, présents dans la salle.
"Pratiquement tous les citoyens du pays attendent le verdict du procès de Khodorkovski", soulignait lundi le quotidien Izvestia. "C'est un événement qui, sans exagérer, définira le sens du développement du pays pour de longues années".
Quel que soit le jugement, condamnation ou libération de prison, il sera "la conséquence d'une instruction politique", estimait la société d'investissements UFG, alors que "l'affaire Ioukos" a fortement ébranlé la confiance des investisseurs, inquiets d'une utilisation politique et sélective de la justice.
Devant le tribunal Mechtchanski, quelque trois cents personnes s'étaient réunies lundi pour soutenir celui qui avant son arrestation en octobre 2003 était considéré comme l'homme le plus riche de Russie.
Un cordon de police très serré empêchait les manifestants d'approcher du bâtiment, et les forces spéciales les ont dispersés en milieu d'après-midi.
"Je pense que la peine sera lourde. Si elle avait dû être légère, elle aurait été prononcée" à la date prévue, a relevé la militante des droits de l'Homme Lioudmila Alexeeva, qui a tenu à se rendre devant le tribunal, comme d'autres personnalités, tel l'ancien champion d'échecs Garry Kasparov.
Initialement prévue pour le 27 avril, l'annonce de la sentence avait été repoussée sans explications. Les analystes avaient avancé des raisons diplomatiques, en soulignant que Vladimir Poutine recevait le 9 mai à Moscou tout le gratin international.
(AFP via
La Dernière Heure, 16.05.2005)