4.1.05
Moscou correspondance
Le président russe Vladimir Poutine aura attendu les jours fériés, durant lesquels la parution des journaux est interrompue et les Russes sont en vacances, pour retirer à son conseiller libéral son rôle de représentant auprès des pays du G7. Le décret, publié lundi 3 janvier, est considéré comme une sanction par les analystes. A plusieurs reprises, et notamment à la fin du mois de décembre 2004, Andreï Illarionov, 43 ans, s'était fait remarquer par ses interventions fortement critiques envers le pouvoir.
Revenant sur l'élection présidentielle en Ukraine, le conseiller économique du Kremlin avait tancé l'ingérence de Vladimir Poutine en soutien au candidat Viktor Ianoukovitch. Lors d'une conférence de presse, mardi 28 décembre, il a estimé que "la Russie ne peut devenir véritablement démocratique et se développer économiquement que si elle cesse d'être un empire".
Deux jours plus tard, celui qui était plutôt considéré comme un proche de Poutine s'exprimait pendant 45 minutes sur la radio libérale Echo de Moscou. Il attaquait cette fois la dérive autocratique du pouvoir. "Il est extrêmement dangereux que les personnes exerçant le pouvoir se retirent dans le secret absolu, et que la société ne sache pas ce qu'elles font, avait-il mis en garde. L'intelligence des leaders est de ne pas cesser de voir et d'entendre ce qui se passe dans le pays, et la moindre limitation des retours d'information est dangereuse pour la vie du pays."
Mais sa plus forte critique avait porté sur l'affaire Ioukos, numéro un du pétrole en Russie. Pour payer des arriérés d'impôts que lui réclame le fisc, le groupe a dû vendre aux enchères, le 19 décembre, l'une de ses plus belles filiales, Iouganskneftgas. Remporté par une société inconnue, Baikalfinansgroup, le "joyau" de Ioukos a été très vite racheté par la compagnie publique Rosneft. Non sans ironie, Andreï Illarionov a décerné à l'opération le titre d'"arnaque de l'année". Elle rend en effet possible la création d'un nouveau géant énergétique semi-public "grâce à l'argent des citoyens russes". C'est la "destruction de la compagnie la plus efficace de Russie", a-t-il regretté.
Ces propos publics sont devenus inhabituels de la part d'un homme proche de M. Poutine. "Andrei Illarionov ne pouvait être maintenu à sa fonction de représentant au G7. C'était devenu trop dangereux de laisser un homme aussi critique à un poste qui répond des liens entre la Russie et l'étranger", explique Rostislav Tourovski, chef du département des recherches régionales au centre des technologies politiques de Moscou. La Russie doit en effet accueillir en 2006 le sommet des pays les plus industrialisés, le G8.
Igor Chouvalov a été nommé au Kremlin par le président pour remplacer M. Illarionov. Il siège depuis peu au conseil d'administration du monopole des chemins de fer. "Il est plus loyal et modéré. Il va suivre la ligne que lui dictera Vladimir Poutine", poursuit le politologue.
M. Illarionov devrait toutefois conserver son rôle de conseiller économique du président, qu'il occupe depuis 2000. Il a d'ores et déjà prévenu d'un ralentissement de la croissance : "Doubler le PIB en dix ans n'est pas possible dans un contexte politique populiste et interventionniste." Pour Sergueï Bronine, son assistant à l'Institut d'analyse économique, "c'est quelqu'un qui dit ce qu'il croit devoir être su de tous : l'économie, malgré l'augmentation du prix du pétrole, s'est détériorée".
Le conseiller du Kremlin pourrait tirer bénéfice de la situation, comme le député libéral Anatoli Ermoline, exclu depuis du parti Russie unie, et qui avait trouvé une tribune en critiquant ouvertement le pouvoir en novembre 2004. Andreï Illarionov "pourrait faire sa propre carrière, sa propre campagne", estime Rostislav Tourovski. Peut-être du côté des libéraux, justement en quête d'un leader.
Madeleine Vatel
( Le Monde, 04.01.2005)
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L'Observatrice
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