7.1.05
Londres de notre correspondant
Le tribunal de Houston (Texas), saisi par le groupe pétrolier russe Ioukos, a décidé jeudi 6 janvier de fixer au 16 février l'audience sur l'avenir du géant des hydrocarbures, ce qui offre un répit à ses dirigeants américains. Autour de Steven Theede, PDG de Ioukos, et de Bruce Misamore, le directeur financier, un "cabinet de crise" a été constitué d'une poignée de membres de la direction exilés à Houston, aux Etats-Unis.
Les deux Américains débordent d'énergie et font mine d'afficher une certaine insouciance. Même ramené à sa portion congrue après la perte, le 19 décembre, de Iouganskneftegaz, sa principale filiale de production, le groupe Ioukos s'accroche et ne relâche pas la pression sur tous les terrains.
"Ioukos continue d'exister", insistait un porte-parole du groupe après l'arrêt, jeudi, du tribunal texan. Privé de sa filiale, le groupe produit encore 700 000 barils/jour de pétrole grâce à deux précieux actifs de production. La société conserve également cinq raffineries en Russie et une participation de 50 % dans l'unique raffinerie de Lituanie. Sans parler d'un trésor de guerre de 7 milliards de dollars déposé par M. Misamore dans deux banques texanes.
20 MILLIARDS DE DOLLARS
Parallèlement, la compagnie veut contester son démantèlement par le Kremlin devant les tribunaux américains et européens. En se plaçant, le 14 décembre 2004, sous la protection de la loi américaine sur les faillites (chapitre 11), Ioukos compte utiliser tous les moyens disponibles afin d'obtenir des dommages et intérêts pour ce que ses avocats considèrent comme une expropriation. L'objectif serait d'obtenir une indemnité de l'ordre de 20 milliards de dollars. Disposant d'un lieu d'activité ainsi que de propriétés aux Etats-Unis, la firme peut être considérée comme débitrice sous le code des banqueroutes du pays.
C'est toutefois en Europe que Ioukos devrait attaquer en justice les autorités russes, ou le groupe d'Etat Rosneft, acquéreur de trois quarts des parts des actions Iougansneftegaz. "Je ne vais pas télégraphier nos intentions au Kremlin. Les Russes sont prévenus, nous poursuivrons toutes les opportunités pour que le droit soit respecté", a déclaré au Monde Robert Amsterdam, l'un des avocats représentant l'ancien président fondateur, et principal actionnaire, Mikhaïl Khodorkovski, en prison en Russie depuis plus d'un an.
Les tribunaux français et allemands pourraient être saisis en raison de législations très sophistiquées en matière d'expropriation. Autre terrain d'attaque, Londres, où est installée la holding Menatep. Cette structure, qui contrôle 60 % des actions de Ioukos, a déjà porté plainte contre la Russie devant une juridiction internationale non divulguée. Les hedge funds (fonds spéculatifs), qui détiennent 20 % des titres de Ioukos, devraient également se mobiliser.
Enfin, la Deutsche Bank, qui a déposé un recours devant le tribunal de Houston contre la décision de Ioukos de se mettre sous la protection de la loi américaine, est dans le collimateur du duo Theede-Misamore. L'implication du chef de file bancaire dans la tentative avortée de rachat de Iougansk par Gazprom laisse bon nombre d'experts pantois. "Il n'y a pas de précédent. Pourquoi risquer sa réputation ? Généralement, c'est la société et pas le conseil qui saisit un tribunal", indique un banquier. L'établissement de Francfort s'est refusé à tout commentaire.
Reste une question de fond : Ioukos peut-elle survivre à partir de Houston ? Un banquier londonien résume le scepticisme : "Sur le papier, peut-être, mais la réalité de l'exploration-production nécessite une présence de la direction sur place", dit-il.
Marc Roche
( Le Monde, 07.01.2005)
Derniers développements
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L'arrestation du PDG de la compagnie pétrolière russe
YUKOS Mikhail Khodorkovsky marque un tournant important dans l'histoire
de la Russie contemporaine. Incarcéré le 25 octobre 2003,
il a été condamné à l'issue d'un
procès inquisitorial à huit ans de camp de travail.
M. Khodorkovsky durant son procès
Son directeur financier, Platon Lebedev, a reçu la même peine.
La dureté de ce traitement, disproportionnée par rapport aux faits qui leur sont
reprochés, laisse supposer des motifs politiques dans l'affaire
YUKOS : Mikhail Khodorkovsky est en effet connu pour ses convictions
libérales et pour le soutien financier qu'il a apporté
aux partis d'opposition lors des dernières élections. Parallèlement, la
compagnie YUKOS dont il était également le principal
actionnaire a été soumise à des redressements
fiscaux successifs toujours plus exorbitants, qui ont servi de
prétexte à confiscation de la plupart des actifs de
la société. Pour tenter de pallier un
certain déficit d'information en langue française, je me
propose de donner - dans la mesure de mon temps disponible - une
couverture au jour le jour de ce qui est perçu en Russie comme
"le procès du siècle".
L'Observatrice
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