20.12.04
Décryptage des enjeux du dépeçage de Ioukos avec Irina Tchoumatchenko, manager-associé de Next Russia, un cabinet spécialisé dans les fusions-acquisitions et le financement en Russie.
Alors que certains députés russes doutaient publiquement lundi de la transparence de la vente aux enchères du principal actif de Ioukos, au point de vouloir saisir le Parquet général du pays, retour sur une affaire complexe de plus de 10 milliards de dollars. Décryptage des enjeux du dépeçage du premier groupe pétrolier russe avec Irina Tchoumatchenko, manager-associé de Next Russia, un cabinet spécialisé dans les fusions-acquisitions et le financement en Russie.
Quel est ce Baïkal Finanz Group, qui a remporté officiellement les enchères hier dimanche pour 9,3 milliards de dollars, et dont on semble tout ignorer ?
Baïkalfinansgroup est clairement une société-écran de droit russe. Elle n'a pas de business. Elle est inconnue des analystes du secteur pétrolier. Elle a été créée à la va-vite il y a à peine trois semaines et enregistrée à Tver, une ville du nord de Moscou. D'ailleurs, un de nos compatriotes s'est aperçu que son adresse officielle n'existait pas ! Il est à fort à parier qu'elle disparaîtra d'ici peu, après avoir revendu en deuxième main Iouganskneftegaz (ndlr le principal actif de Ioukos, sa filiale de production) à un autre acteur russe. Elle n'avait d'autre vocation en fin de compte que d'avancer les 1,7 milliard de caution pour clore le processus. Du reste, regardez, elle était seule en lice!
L'affaire est-elle pilotée par Gazprom ou même directement par le Kremlin ?
On a tout lieu de penser en effet que Gazprom téléguide le dossier. Depuis que Ioukos s'est placé sous la protection du chapitre 11 de la loi américaine sur les faillites, le pool de banques internationales susceptibles de prêter quelque 10 milliards au groupe public gazier, parmi lesquelles ABN Amro, BNP Paribas ou bien JP Morgan, n'osaient plus se découvrir de peur d'encourir les représailles de la justice américaine sur leurs actifs outre-Atlantique. Du coup, en se retirant ouvertement des enchères, Gazprom se prémunit par avance de toute contestation. Le tout est évidemment cautionné par le Kremlin. En « russifiant » le dossier, Vladimir Poutine fait un exemple. Il montre qu'il peut encore imposer des limites à une économie trop débridée. Or, il a d'autant plus les mains libres que les mastodontes internationaux, tels que Total, BP et autres ChevronTexacco, n'ont pas souhaité s'immiscer dans le dossier de peur de froisser à long terme les intérêts de Moscou et donc de nuire aux leurs en Russie.
Ioukos peut-il servir de précédent ?
Sans doute, car tout est très politique. D'ores et déjà, on parle d'un « nouveau Ioukos », mais dans les télécoms cette fois. Certaines rumeurs insistantes laissent ainsi entendre que le fisc russe pourrait très bientôt se plonger dans les comptes de Vympelkom, le deuxième opérateur du pays, contrôlé par Mikhaïl Friedman, un autre oligarque de l'époque Eltsine. Par ailleurs, la Cour des comptes s'apprête à publier à la rentrée les conclusions de son rapport sur le mouvement de privatisations survenu dans les années 1991/1993.
(L' Expansion, 20.12.2004)
Derniers développements
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L'arrestation du PDG de la compagnie pétrolière russe
YUKOS Mikhail Khodorkovsky marque un tournant important dans l'histoire
de la Russie contemporaine. Incarcéré le 25 octobre 2003,
il a été condamné à l'issue d'un
procès inquisitorial à huit ans de camp de travail.
M. Khodorkovsky durant son procès
Son directeur financier, Platon Lebedev, a reçu la même peine.
La dureté de ce traitement, disproportionnée par rapport aux faits qui leur sont
reprochés, laisse supposer des motifs politiques dans l'affaire
YUKOS : Mikhail Khodorkovsky est en effet connu pour ses convictions
libérales et pour le soutien financier qu'il a apporté
aux partis d'opposition lors des dernières élections. Parallèlement, la
compagnie YUKOS dont il était également le principal
actionnaire a été soumise à des redressements
fiscaux successifs toujours plus exorbitants, qui ont servi de
prétexte à confiscation de la plupart des actifs de
la société. Pour tenter de pallier un
certain déficit d'information en langue française, je me
propose de donner - dans la mesure de mon temps disponible - une
couverture au jour le jour de ce qui est perçu en Russie comme
"le procès du siècle".
L'Observatrice
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