18.12.04
Moscou de notre correspondante
Le parti Russie unie, principal soutien du président russe qui contrôle deux tiers des sièges à la Douma (la Chambre basse du Parlement), veut interdire de séjour en Russie les étrangers qui auraient, "par leur comportement, exprimé un manque de respect envers la Fédération de Russie, ses organes du pouvoir ou ses symboles d'Etat".
Pour ce faire, la Douma est appelée à se prononcer, la semaine prochaine, sur un projet de loi, adopté jeudi 16 décembre par la commission parlementaire pour la construction de l'Etat. Le texte appelle à bannir les étrangers qui auraient manifesté un "manque de respect envers les valeurs spirituelles, culturelles et civiques généralement admises en Russie". Artisan du projet, le député Vladimir Pliguine, membre de Russie unie, a expliqué que cette interdiction visait à "consolider le prestige de la Russie".
Une telle loi, si elle est adoptée, pourrait servir de justification à des refus de visas pour des journalistes, des responsables politiques étrangers, etc.. Elle pourrait aussi, selon le député d'opposition Vladimir Ryjkov, constituer un moyen de pression à l'égard des responsables gouvernementaux étrangers, au moment où la Russie est confrontée à une série de critiques, en Occident, sur son glissement autoritaire et l'offensive des autorités contre le pétrolier Ioukos.
Le représentant spécial de Vladimir Poutine pour les droits de l'homme, Vladimir Loukine, a qualifié le projet de loi de "ridicule et indigne d'être présenté devant un organe d'Etat sérieux". Cette initiative est l'"œuvre typique de personnes qui s'inscrivent dans ce qu'on désigne communément comme les deux fléaux de la Russie : ses routes et ses idiots", a-t-il ajouté.
Qu'il soit ou non adopté par la Douma, ce projet de loi n'en traduit pas moins l'esprit du temps en Russie, marqué par un regain de xénophobie et de patriotisme, nourris par une vague d'"espionnite" entretenue par les autorités. Le point d'orgue de cette campagne a été la condamnation, le 24 novembre, par un tribunal de Krasnoïarsk (Sibérie), du physicien russe Valentin Danilov à quatorze ans de prison "à régime sévère" pour "espionnage au profit de la Chine".
"DIX-HUIT ESPIONS NEUTRALISÉS"
Jeudi, le chef des services secrets russes (FSB), Nikolaï Patrouchev, a affirmé que "dix-huit espions étrangers" avaient été "neutralisés" en Russie cette année. Le même jour, le ministre de la défense, Sergueï Ivanov, a critiqué lors d'une réunion du gouvernement le "manque d'émissions patriotiques" sur les télévisions d'Etat.
Le projet de loi sur "les bases légales du séjour d'étrangers en Russie", déposé à la Douma, ne précise pas en quoi, exactement, consisterait "le manque de respect"envers la Russie, et "laisse une grande marge d'interprétation aux fonctionnaires du ministère des affaires étrangers et des autres organes d'Etat", souligne le journal moscovite Kommersant. Des correspondants de médias étrangers font, par ailleurs, état, en privé, de nouvelles pressions de la part de fonctionnaires russes, qui laissent entendre que le contenu de leurs articles aurait une incidence sur le renouvellement de leurs accréditations et visas.
Natalie Nougayrède
( Le Monde, 18.12.2004)
Derniers développements
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L'arrestation du PDG de la compagnie pétrolière russe
YUKOS Mikhail Khodorkovsky marque un tournant important dans l'histoire
de la Russie contemporaine. Incarcéré le 25 octobre 2003,
il a été condamné à l'issue d'un
procès inquisitorial à huit ans de camp de travail.
M. Khodorkovsky durant son procès
Son directeur financier, Platon Lebedev, a reçu la même peine.
La dureté de ce traitement, disproportionnée par rapport aux faits qui leur sont
reprochés, laisse supposer des motifs politiques dans l'affaire
YUKOS : Mikhail Khodorkovsky est en effet connu pour ses convictions
libérales et pour le soutien financier qu'il a apporté
aux partis d'opposition lors des dernières élections. Parallèlement, la
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fiscaux successifs toujours plus exorbitants, qui ont servi de
prétexte à confiscation de la plupart des actifs de
la société. Pour tenter de pallier un
certain déficit d'information en langue française, je me
propose de donner - dans la mesure de mon temps disponible - une
couverture au jour le jour de ce qui est perçu en Russie comme
"le procès du siècle".
L'Observatrice
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