18.12.04
Les réformes en vue de recentraliser le pouvoir et un ensemble de nouvelles lois en cours d'adoption ou à l'étude au nom de la lutte antiterroriste s'ajoutent à la volonté du président Vladimir Poutine de brider les milieux d'affaires tentés par la politique.
Moscou de notre correspondante
Le champion d'échecs Gary Kasparov était l'invité, vendredi 17 décembre, de la radio Echo de Moscou. Cette station, très écoutée par les élites "libérales" et, dit-on, les milieux dirigeants, relève à elle seule d'un paradoxe : dépendant financièrement du géant étatique Gazprom, qui a pris son contrôle en 2001, elle n'en a pas moins gardé une certaine liberté d'expression.
C'est, disent les critiques du régime, une des "soupapes" que tolère encore le pouvoir russe, au sein duquel deux groupes s'affrontent : les "durs" issus de l'ex-KGB, partisans d'un régime autoritaire seul à même, à leurs yeux, de garantir la sécurité du pays face au risque terroriste, et une aile pluraliste, incarnée par les partisans de réformes économiques libérales tel le ministre du développement économique Guerman Gref. Ces derniers semblent en perte de vitesse.
Gary Kasparov est la figure de proue d'une petite structure d'opposition, le Comité 2008, qui veut une alternative démocratique au régime de M. Poutine, dont le second mandat s'achèvera dans trois ans et demi. Ce Comité 2008 participait, le 12 décembre, à un "congrès civique" réunissant dans un hôtel de Moscou un millier de démocrates et responsables d'organisations non gouvernementales, dans l'espoir de susciter en Russie un réveil de la société civile. Le "congrès" a été passé sous silence par les médias d'Etat.
FIN DU SYSTÈME FÉDÉRAL
Les questions adressées par des auditeurs à Gary Kasparov en disaient long sur l'état d'esprit du public russe : "Pourquoi vous en prenez-vous avec autant d'hystérie à Vladimir Poutine ?" "Ne craignez-vous pas de vous retrouver derrière les barreaux, ou frappé par un redressement fiscal ?" "Merci de cette remarque, répliqua le champion d'échecs, elle montre bien la situation à laquelle nous sommes tous confrontés : s'en prendre au pouvoir aujourd'hui, c'est s'exposer à des représailles."
Le même jour, la Douma, Chambre basse du Parlement, adoptait en première lecture une "loi antiterroriste" qui renforce les pouvoirs des services secrets et des forces de l'ordre. Le texte autorise une restriction des droits des citoyens, l'interdiction de rassemblements de masse, un usage extensif des écoutes téléphoniques et des limitations à la liberté de mouvement dans le pays. Etape supplémentaire dans ce que le Kremlin appelle la mise en place d'une "verticale du pouvoir", cette législation avait été mise en place par Vladimir Poutine au lendemain du drame de Beslan, la prise d'otages meurtrière survenue début septembre dans le Caucase du Nord (plus de 350 victimes). Elle introduit aussi un renforcement du contrôle sur le travail des journalistes, étendant à l'ensemble du territoire russe des restrictions qui n'avaient cours, jusqu'à présent, que dans la zone de guerre en Tchétchénie.
Un autre volet des changements en cours est la fin du système fédéral introduit dans les années 1990, lorsque Boris Eltsine avait appelé les 89 "sujets" de la Fédération à "prendre autant d'autonomie qu'ils -pouvaient- avaler". Une loi supprimant l'élection au suffrage universel direct des gouverneurs et présidents de Républiques vient d'entrer en vigueur. C'est le président qui nommera les responsables régionaux. Il aura le droit, en outre, de dissoudre les assemblées régionales au cas où celles-ci refuseraient à deux reprises d'entériner son choix.
Cette extension du pouvoir exécutif dans le pays pourrait aller jusqu'à la nomination par le Kremlin des maires des grandes agglomérations. La vice-présidente de la Douma, Lioubov Slitska, membre du parti présidentiel Russie unie, s'est exprimée dans ce sens, vendredi, affirmant qu'une telle mesure "réduirait les contradictions entre gouverneurs et maires, qui s'affrontent souvent localement".
Selon des analystes comme Dmitri Orechkine, de l'institut Merkator, le pouvoir souhaite encore réduire le nombre de républiques et régions qui composent la Fédération. L'ensemble du Caucase du Nord, qui comporte sept républiques, serait ainsi réuni en un seul "territoire". L'incapacité des forces de l'ordre à remédier à l'instabilité dans cette région s'est encore manifestée, le 14 décembre, lorsqu'une attaque armée contre un stock d'armes de l'Agence fédérale de lutte contre la drogue, en plein centre de Naltchik, capitale de la Kabardino-Balkarie, a fait quatre morts.
Le passage à un système de nomination des gouverneurs traduit aussi la volonté du pouvoir central de brider les oligarques, patrons de grands groupes industriels et financiers qui dominent de nombreuses administrations locales en Sibérie - région abritant les immenses réserves d'hydrocarbures que le Kremlin veut ramener sous son contrôle.
"La peur est là, commente un banquier à Moscou. Le régime va serrer les boulons après les événements en Ukraine, qui lui font craindre une "attaque" similaire de structures pro-occidentales en Russie même. Toute critique est perçue comme une "cinquième colonne", un ennemi intérieur, ainsi que l'a dit l'un des proches de Poutine, Vladislav Sourkov." L'opposition libérale, désunie, souffre en outre d'une mauvaise image au sein de la population russe, qui la tient responsable des privatisations scandaleuses et des crises financières des années 1990.
Le patron emprisonné du pétrolier Ioukos, Mikhaïl Khodorkovski, a été mis hors d'état de nuire, alors qu'il tentait en 2003 de se constituer une base politique en finançant des organisations non gouvernementales et des partis politiques critiques du Kremlin. Ioukos est sur le point d'être démantelé, avec la mise aux enchères, prévue dimanche 19 décembre, de sa principale filiale, qui sera reprise sous toute probabilité par Gazprom.
L'annonce, vendredi, d'un nouveau et important redressement fiscal frappant la compagnie de téléphonie mobile VimpelCom, liée au groupe Alfa, pourrait cacher un scénario similaire : étouffer toute potentielle source de financement pour une opposition politique. L'un des fondateurs de VimpelCom (et détenteur de 10 % de ses actions), Dmitri Zemin, a participé, fin novembre à Moscou, à la création d'une fondation appelée Nouvelle Eurasie, soutenue par des fonds américains et européens. Celle-ci se fixe pour but de "consolider la société civile" en Russie. En mai, lors de son discours annuel devant le Parlement, Vladimir Poutine avait dénoncé l'action de telles ONG - semblables à celles qui ont pesé dans la bataille politique en Ukraine - les accusant de "travailler pour des groupes douteux et servir des intérêts commerciaux".
Natalie Nougayrède
( Le Monde 18.12.2004)
Derniers développements
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L'arrestation du PDG de la compagnie pétrolière russe
YUKOS Mikhail Khodorkovsky marque un tournant important dans l'histoire
de la Russie contemporaine. Incarcéré le 25 octobre 2003,
il a été condamné à l'issue d'un
procès inquisitorial à huit ans de camp de travail.
M. Khodorkovsky durant son procès
Son directeur financier, Platon Lebedev, a reçu la même peine.
La dureté de ce traitement, disproportionnée par rapport aux faits qui leur sont
reprochés, laisse supposer des motifs politiques dans l'affaire
YUKOS : Mikhail Khodorkovsky est en effet connu pour ses convictions
libérales et pour le soutien financier qu'il a apporté
aux partis d'opposition lors des dernières élections. Parallèlement, la
compagnie YUKOS dont il était également le principal
actionnaire a été soumise à des redressements
fiscaux successifs toujours plus exorbitants, qui ont servi de
prétexte à confiscation de la plupart des actifs de
la société. Pour tenter de pallier un
certain déficit d'information en langue française, je me
propose de donner - dans la mesure de mon temps disponible - une
couverture au jour le jour de ce qui est perçu en Russie comme
"le procès du siècle".
L'Observatrice
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