20.12.04
Moscou de notre correspondante
Au fur et à mesure que le sort de Ioukos se précisait, c'est-à-dire son démantèlement, marqué par l'étrange vente aux enchères de dimanche 19 décembre, un autre processus avait lieu : le déploiement dans des secteurs clés de l'économie des "hommes de Poutine".
Ceux-ci sont, en général, issus des réseaux tissés par le président russe au début des années 1990, lorsqu'il gérait les relations économiques extérieures de la municipalité de Saint-Pétersbourg. Beaucoup ont travaillé pour les services secrets.
Ancien lieutenant-colonel du KGB, le président Poutine a puisé ses proches collaborateurs dans le milieu qui lui est le plus familier, et qu'il considère, comme il l'a répété dimanche, comme garant "des intérêts de la Russie".
Contrairement aux années Eltsine, lorsque le Kremlin jonglait avec les intérêts conflictuels de grands groupes, dont les patrons avaient souvent la haute main sur la politique économique, l'ère Poutine se caractérise par une nouvelle concentration, entre les mains de quelques hauts fonctionnaires issus de l'administration présidentielle, d'importants leviers industriels.
Le chef de l'administration présidentielle, Dmitri Medvedev, siège ainsi au sein de la direction du groupe gazier Gazprom, contrôlé par l'Etat. Tout en conservant lui aussi sa position de numéro deux dans l'administration présidentielle, Vladislav Sourkov a pris la tête, début septembre, de la société Transnefteprodukt, qui contrôle un tiers des transports de produits pétroliers dans le pays. Un autre membre de l'administration du Kremlin, Viktor Ivanov, dirige le groupe militaro-industriel Almaz-Anteï, ainsi que la compagnie aérienne nationale, Aeroflot. Le conseiller de M. Poutine pour les relations internationales, Sergueï Prikhodko, a été chargé de superviser un fabriquant de missiles. Igor Chouvalov, nommé au Kremlin par le président, siège désormais au conseil d'administration du monopole des chemins de fer, qui est par ailleurs présidé par le vice-premier ministre Alexandre Joukov, autre homme de confiance du président.
"REDISTRIBUTION"
La seule grande société au capital dominé par l'Etat échappant encore à cet afflux de représentants de l'administration présidentielle est le monopole de l'électricité, RAO EES, dirigé par l'ancien "père des privatisations" des années 1990, Anatoli Tchoubaïs. Il avait d'ailleurs été rejoint à la tête de cette compagnie, peu après l'arrestation de Mikhaïl Khodorkovski, fin 2003, par un transfuge de l'ancienne équipe Eltsine, l'ancien chef de l'administration présidentielle, Alexandre Volochine. Mais les projets de réforme et de morcellement de RAO EES, s'ils progressent, devraient mettre fin à ce dernier résidu resté hors du contrôle direct du Kremlin.
La nomination la plus remarquée fut celle, en juillet, d'Igor Setchine, un autre numéro deux de l'administration présidentielle, à la tête de la société pétrolière Rosneft, qui a ensuite fusionné avec Gazprom pour créer Gazpromneft, jetant les bases d'un géant étatique des hydrocarbures. M. Setchine dirige, aujourd'hui, le conseil d'administration de Gazpromneft.
Selon l'économiste Evgueni Iassine, ce déploiement ne vise pas seulement à établir un contrôle plus prononcé sur les flux financiers de ces sociétés, mais relèverait d'une forme de "redistribution de la propriété" dans le pays, "ainsi que l'a montré l'affaire Ioukos". "Les anciens du KGB prennent leur revanche", commente un investisseur étranger, "après avoir été tenus à l'écart, pendant la période Eltsine, des grandes phases d'enrichissement".
"On assiste à un système de pouvoir spécifique", a écrit le journal Kommersant, critique du régime, "où les actifs clés de l'économie, au nom de la consolidation de l'Etat, se retrouvent contrôlés par un clan étroit de personnes de confiance -du président-. La mainmise sur ces compagnies devient une garantie de la préservation du pouvoir politique entre les mains de ce groupe".
Natalie Nougayrède
( Le Monde, 20.12.2004)
Derniers développements
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L'arrestation du PDG de la compagnie pétrolière russe
YUKOS Mikhail Khodorkovsky marque un tournant important dans l'histoire
de la Russie contemporaine. Incarcéré le 25 octobre 2003,
il a été condamné à l'issue d'un
procès inquisitorial à huit ans de camp de travail.
M. Khodorkovsky durant son procès
Son directeur financier, Platon Lebedev, a reçu la même peine.
La dureté de ce traitement, disproportionnée par rapport aux faits qui leur sont
reprochés, laisse supposer des motifs politiques dans l'affaire
YUKOS : Mikhail Khodorkovsky est en effet connu pour ses convictions
libérales et pour le soutien financier qu'il a apporté
aux partis d'opposition lors des dernières élections. Parallèlement, la
compagnie YUKOS dont il était également le principal
actionnaire a été soumise à des redressements
fiscaux successifs toujours plus exorbitants, qui ont servi de
prétexte à confiscation de la plupart des actifs de
la société. Pour tenter de pallier un
certain déficit d'information en langue française, je me
propose de donner - dans la mesure de mon temps disponible - une
couverture au jour le jour de ce qui est perçu en Russie comme
"le procès du siècle".
L'Observatrice
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