18.12.04
Sa principale filiale doit être bradée malgré le soutien de la justice texane.
Par Lorraine MILLOT
Dimanche, 16 heures à Moscou, le marteau devrait tomber sur Ioukos : malgré une décision de dernière minute de la justice américaine, les autorités russes indiquaient vendredi soir avoir bien l'intention d'en finir enfin avec le groupe pétrolier de l'insolent Mikhaïl Khodorkovski, qui avait osé tenir tête à Vladimir Poutine. «C'est maintenant une question de principe pour le gouvernement russe, expliquait vendredi Valery Nesterov, analyste pétrolier du fonds d'investissements russe Troïka Dialog. Vue la résonance publique qu'a prise cette affaire, le gouvernement n'a plus d'autre solution que de mener ces enchères.» La principale filiale de Ioukos, Iouganskneftegaz, qui assure 1 million de barils de pétrole par jour (62 % de la production de Ioukos) doit être bradée dimanche à un prix de départ de 8,65 milliards de dollars. Le repreneur choisi par le Kremlin est Gazprom, géant semi-public du gaz, dirigé par un favori de Vladimir Poutine, Alexeï Miller.
Immixtion. Pugnace jusque dans l'agonie, le groupe Ioukos a pourtant obtenu vendredi une décision d'un tribunal américain de Houston (Texas), ordonnant la suspension pour dix jours de la vente de ses actifs. Arguant qu'il compte un nombre important d'actionnaires américains et que la législation américaine a une «juridiction mondiale», Ioukos a demandé à être placé sous la protection du «chapitre 11» : la loi américaine sur les faillites qui permet à une entreprise en naufrage de conserver ses actifs le temps de présenter un projet de réorganisation.
Mais cette immixtion de la justice américaine ne semble guère impressionner le Kremlin, qui a fait emprisonner Khodorkovski depuis plus d'un an et a infligé à son groupe un total de plus de 27 milliards de dollars de redressements fiscaux. Le cas de Ioukos sera tranché «sur la base des lois russes», a martelé, vendredi, le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov. «La décision du tribunal américain interdisant aux personnes juridiques russes d'effectuer sur le territoire de la Fédération de Russie des actions prévues par la loi russe [...] n'a pas de valeur juridique en Russie, à moins bien sûr d'être confirmé par un tribunal russe», expliquait vendredi le ministère russe, sachant bien que ce merveilleux cas de droit international a toutes chances de se briser là, puisque la justice russe est sous contrôle politique.
Cette petite victoire américaine de Ioukos a au moins pour effet d'effrayer les banques occidentales qui doivent prêter 10 milliards d'euros à Gazprom, le géant semi-public du gaz russe, pour qu'il se paie Iouganskneftegaz. Le consortium bancaire emmené par la Deutsche Bank et incluant BNP Paribas, JP Morgan, ABN Amro et Dresdner Kleinwort Wasserstein, a décidé de geler pour dix jours l'octroi de son prêt en attendant d'y voir plus clair avec la justice américaine. «Toutes ces banques, qui ont des actifs importants aux Etats-Unis, craignent d'être soumises à des sanctions en cas de non-respect de la décision du tribunal du Texas», explique Elena Anankina, analyste de Standard & Poors à Moscou. Cependant, d'autres analystes n'excluent pas que ce moment de gêne leur passe vite : «Il se trouvera bien des banques pour donner les crédits nécessaires, présume Alexeï Kormchikov, analyste chez Nikoil. Du moment qu'elles ont l'aval du Kremlin, et qu'elles puissent travailler tranquillement en Russie.»
Lâcheté. Et même si les banques étrangères refusaient de cautionner ce rapt du siècle, cela ne devrait pas empêcher Gazprom de s'emparer de Iouganskneftegaz. «Gazprom a cinq milliards de dollars, ils peuvent s'associer à Sourgoutneftegaz (compagnie privée appréciée du Kremlin, ndlr) et l'Etat peut aussi leur prêter de l'argent», estime l'analyste de Troïka Dialog, Valery Nesterov. Le risque de représailles pour Gazprom, qui fournit près d'un tiers du gaz de l'Union européenne, n'est pas pris au sérieux à Moscou. «Les Etats-Unis ne vont pas saisir les livraisons de gaz ou de pétrole de Gazprom, estime Valery Nesterov. D'autant qu'ils ont des projets de coopération, pour des livraisons de gaz liquéfié.» Vue la grande lâcheté des Occidentaux depuis plus d'un an que Ioukos est méthodiquement mis à mort, il serait surprenant que Washington, Paris ou Berlin se réveillent maintenant.
( Libération, 18.12.2004)
Derniers développements
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L'arrestation du PDG de la compagnie pétrolière russe
YUKOS Mikhail Khodorkovsky marque un tournant important dans l'histoire
de la Russie contemporaine. Incarcéré le 25 octobre 2003,
il a été condamné à l'issue d'un
procès inquisitorial à huit ans de camp de travail.
M. Khodorkovsky durant son procès
Son directeur financier, Platon Lebedev, a reçu la même peine.
La dureté de ce traitement, disproportionnée par rapport aux faits qui leur sont
reprochés, laisse supposer des motifs politiques dans l'affaire
YUKOS : Mikhail Khodorkovsky est en effet connu pour ses convictions
libérales et pour le soutien financier qu'il a apporté
aux partis d'opposition lors des dernières élections. Parallèlement, la
compagnie YUKOS dont il était également le principal
actionnaire a été soumise à des redressements
fiscaux successifs toujours plus exorbitants, qui ont servi de
prétexte à confiscation de la plupart des actifs de
la société. Pour tenter de pallier un
certain déficit d'information en langue française, je me
propose de donner - dans la mesure de mon temps disponible - une
couverture au jour le jour de ce qui est perçu en Russie comme
"le procès du siècle".
L'Observatrice
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