On se souvient que le pouvoir avait tenté de faire pression sur la société préposée au registre de Ioukos afin de faire avorter l'assemblée générale prévue pour le 20. Perquisition, saisie de matériel... malgré cela, une solution avait été trouvée par Ioukos pour que l'AG puisse avoir lieu.
Du coup le Kremlin a eu recours aux bons offices de Roman Abramovitch, inénarrable patron de Sibneft et de Chelsea, pour parvenir à ses fins. Ce dernier n'a eu qu'à s'adresser à un tribunal moscovite pour faire valoir que la mise en liquidation du groupe Ioukos risquerait de compromettre le processus de "divorce" entamé entre Ioukos et Sibneft et menacerait ainsi ses intérêts. L'AG a donc été purement et simplement interdite par décision de justice.
Sur fond de rumeurs portant sur un redressement fiscal susceptible d'être infligé à Sibneft (il est de notoriété publique que dans l'art de minimiser les impôts, Sibneft dépassait de loin Ioukos), cette anecdote est particulièrement savoureuse. On voit que les chers collègues oligarques de Monsieur Khodorkovski ne reculent devant aucun marchandage avec l'Etat (et avec leur conscience) pour essayer de sauver ce qui reste de leur peau. Et le fisc et le Parquet Général ont beau jeu de les faire chanter - il n'y aurait pas à chercher bien loin pour trouver sur chacun des accusations beaucoup plus convainquantes que celles qui pèsent sur le patron de Ioukos.
C'est pour cela, par exemple, que de son côté le patron d'Alpha Bank, qui, dit-on, partage avec Abramovitch le triste privilège d'occuper la deuxième place sur la liste des oligarques à éliminer, se fait l'allié du pouvoir dans la lutte contre les média indépendants (ainsi qu'en témoigne le procès lancé par Alpha contre le quotidien Kommersant).
En attendant, le procès de Mikhaïl Khodorkovski risque de prendre un nouveau tour, avec l'arrestation de nombre de ses subordonnés de Ioukos. Selon Ioulia Latynina, commentatrice à la radio Echo de Moscou, il s'agit simplement pour le Parquet Général de neutraliser par ce moyen les témoins de la défense que les avocats de Khodorkovski et Lebedev s'apprêtaient à citer à comparaître.
Malheureusement, cette version me semble... optimiste.
En effet, parallèlement à ces nouvelles arrestations ont été lancées de nouvelles accusations contre les dirigeants du groupe pétrolier. A vrai dire, ces accusations avaient été formulées dès le début de l'affaire Ioukos, essentiellement dans les journaux spécialisés dans la publication d'informations compromettantes. Cependant il n'en a pas été fait état juqu'à présent au cours du procès même. Il s'agit, essentiellement, d'un soupçon de traffic sur les dénominations et les prix du pétrole (vendu à des prix différents suivant son degré de raffinage), réalisé - d'après les affirmations du parquet général - au moyen de ventes réciproques entre sociétés écrans appartenant en fait toutes à Ioukos.
Ainsi, alors que le procès de Mikhail khodorkovski semblait toucher à sa phase finale, tout pourrait recommencer presque à zéro, avec de nouveau, des mois durant, la lecture de "pièces à conviction" par l'infatigable procureur Chokhine, puis la comparution de témoins choisis plus ou moins au hasard, puis les justifications des avocats, etc. etc. Et cela peut se renouveler plusieurs fois, en exhumant à chaque fois des accusations plus où moins fantaisistes.
Ainsi, tout en étant jusqu'au verdict potentiellement innocents, Khodorkovski et Lébédev continuent de séjourner en prison.
Jusqu'à l'absorption complète de Ioukos par les compagnies dirigées par des proches du président Poutine?