Pas plus tard qu’hier je citais la déclaration du ministre russe des finances, qui promettait que les actifs de Ioukos seraient réalisés à leur juste valeur, et je me permettais de mettre en doute cette affirmation.
Or aujourd’hui, les fonctionnaires du ministère des ressources naturelles ont trouvé deux moyens de faire chuter la valeur de la plus riche filière de Ioukos en lui retirant la licence d’exploitation de ses gisements pétrolier.
Le premier consiste à lui présenter à son tour une lourde facture à régler d’urgence. A cause des difficultés récentes de la compagnie « Ioukos » - rappelons que presque tous les comptes de la compagnie mère sont toujours bloqués et que cette dernière a déjà commencé de régler le colossal redressement d’impôt qu’elle vient de subir - sa filiale a en effet accumulé un retard de paiement de 10 milliards de roubles. Aujourd’hui, le fisc vient de lui rajouter un redressement de près de 28 milliards de roubles, qui s’ajoute aux 21 qu’elle doit régler d’impôts et frais courants. On se demande d’où sortent les chiffres du fisc. C’est d’autant plus troublant, que ce que l’on reprochait à la compagnie lors du procès Ioukos, c’était précisément d’avoir donné une certaine indépendance fiscale à ses filiales, donc de s’être « défaussée » sur elles de ses obligations envers le budget fédéral. Les représentants du fisc objectaient que cette indépendance est fictive et que c’est à la maison mère qu’il revient de payer les impôts. Or voilà qu’ils s’en prennent à présent à Iougansk ! Ioukos est-il tenu de payer deux fois le même impôt ?
Le second moyen est d’accuser la compagnie d’avoir dépassé les quotas d’exploitation auxquels la licence lui donne droit. Elle les a effectivement dépassés, c’est un fait. Mais qui demande tout de même à être nuancé. En effet, ce dépassement avait été prévu largement à l’avance par les managers de la compagnie, et ils avaient entamé en temps voulu la procédure de rectification des conditions du contrat de licence habituelle dans ce cas. Tous les documents nécessaires avaient donc été envoyé au Ministère des Ressources Naturelles, et la commission centrale chargée de l’application des contrats de licence avait donné un avis favorable. Le texte du contrat devait donc recevoir les modifications nécessaires, et cela encore avant la fin 2002. Et si cela ne s’est jamais fait, c’est par la faute du précédent ministre des ressources naturelles Vitali Artioukhov, qui, comme on s’en souvient peut-être car l’histoire avait fait scandale au moment du dernier remaniement ministériel, n’a pas signé un seul contrat de licence durant les deux ans de son ministère. Ce n’est que trois jours seulement avant de céder définitivement son portefeuille qu’il a à la hâte signé plus d’une trentaine de contrats, essentiellement en faveur de ses amis. Ioukos, tombé en disgrâce depuis l’été précédent, ne figurait évidemment pas dans la liste.
Cependant, le pouvoir a visiblement décidé de prolonger encore un peu l’agonie de Ioukos. Le Ministère des Ressources Naturelles n’a pas inscrit le retrait des licences de Iougansk à l’ordre du jour de la commission de vendredi prochain, et le fisc a donné trois mois à la cette filiale de Ioukos pour régulariser sa situation. Elle doit donc régler en trois mois près de 60 milliards de roubles, soit 20 milliards de dollars environ. C’est plus que la totalité des bénéfices de Ioukos pour le premier semestre 2004.
Pourquoi se presser en effet – autant retirer le plus possible de Ioukos avant de le dépecer définitivement : Ioukos a déjà payé 75 milliards sur les 99 que le ministère lui demande pour la seule année 2000. De plus, cette alternance de bonnes et de mauvaises nouvelles soigneusement dosée par les représentants des différents ministères offre de juteuses possibilités de spéculation sur les actions de la compagnie.
Dans d’autres régions du globe, cela s’appelle manipulation de cours et délit d’initié…