Khodorkovski + Parquet Général vs Poutine ?!
Cela paraît invraisemblable, mais c’est pourtant ce qu’affirme un article publié dans le quotidien numérique
dni.ru. Selon l’auteur – un parfait inconnu derrière lequel se cache, comme il se doit, un célèbre «polittechnologue» russe – l’ «affaire IOUKOS» serait montée de toutes pièces par les accusés eux-mêmes avec la complicité du parquet général, dans le but de discréditer le pouvoir russe à l'intérieur comme à l'étranger, de nuire à l’image du président, et en fin de compte de provoquer une crise du pouvoir susceptible de servir les ambitions politiques de Mikhaïl Khodorkovski. Simple, mais génial.
L’argumentation s’appuie sur deux moments essentiels.
Le premier, c’est le déroulement même du procès : les positions de l’accusation s’effilochent, les témoins à charge disculpent Khodorkovski, les droits des accusés sont bafoués de façon criante – tout cela, affirme le journaliste de dni.ru, témoigne d’une absence totale de compétence dans la façon dont a été menée l’enquête et préparé le dossier d’accusation.
Le second moment est plus curieux. Selon l’auteur, il existerait des liens de longue date entre les actionnaires de IOUKOS et les responsables de l’enquête au parquet général - le premier vice-procureur Birioukov et l’enquêteur Salavat Karimov - ces derniers ayant jusqu’à présent «protégé» IOUKOS et fait avorter toutes les affaires précédemment montées contre lui.
La où l’affaire se corse, c’est lorsque entre en scène l’inénarrable porte-parole du Parquet Général Natalia Vishnjakova, pour protester avec véhémence contre cette dernière accusation, qualifiée de «grotesque» et «mensongère», et que le Parquet Général exige – et obtient – que Dni.ru retire de sa publication les passages concernant les soi-disant liens entre les enquêteurs et les actionnaires de IOUKOS. Je ne sais pourquoi, les interventions de Natalia Vishnjakova, qu’elles soient écrites ou orales, sont toujours d’un effet comique très sûr. Entre temps, évidemment, l’article de Dni.ru dans son intégralité s’est transporté sur des dizaines d’
autres sites.
Pourquoi est-ce si drôle ? Parce que dans sa lettre Natalia Vishnjakova écrit
«Dni.ru» a reconnu qu’il avait publié des informations non vérifiées par l’auteur (sur les enveloppes contenant les instructions pour les enquêteurs et les soi-disantes «excellentes relations dans le passé» entre les responsables de l’enquête au Parquet Général et Khodorkovski et Lebedev). Vishnjakova dit sans doute vrai. En tout cas, au terme de ma propre enquête virtuelle dans le foisonnant monde du «kompromat» (pas besoin de traduire ce terme?) je n’ai pas réussi à trouver la moindre confirmation de ce qu’avance l’auteur de cet article. Non pas que ces messieurs du Parquet soient des modèles de probité, loin de là – j’ai ainsi pu découvrir des choses tout à fait passionnantes sur les liens de Birioukov avec divers groupes maffieux tchétchènes et avec l'ex-oligarque Berezovski. Mais rien sur IOUKOS ou Menatep. Malheureusement, en ce qui concerne les lacunes, incohérences et abus de l’enquête, il est difficile, même pour Natalia Vishnjiakova, de nier l’évidence. Et sa lettre devient un pitoyable aveu d’impuissance – «On fait ce qu’on peut ! Ce n'est pas notre faute si nous sommes aussi mauvais !»
Une fois purgé de ses «informations non vérifiées», l’
article de Dni.ru devient donc d’une lumineuse simplicité, que résume bien l’un des slogans du très ironique
Groupe SOVEST : Дело ЮКОСа халтура / Автор : Генпрокуратура (traduction approximative : L’Affaire Ioukos est bâclée / L’auteur en est le Parquet )
Il reste tout de même un certain nombre d’interrogations. Personne, je crois, ne doute que cet article et l’agitation autour de lui soient une manipulation. Mais de qui et pourquoi ?
Soit le pouvoir, furieux de la tournure que prend l’affaire IOUKOS, et de la façon dont elle est menée par le Parquet, tente de se dédouaner en essayant, comme d’habitude, de faire croire à un complot contre lui, quitte à y associer de hauts responsables du Parquet tombés en disgrâce. Dans ce cas, l’on ne devrait pas tarder à assister à une valse d’épaulettes au sein de cette respectable institution.
Soit il s’agit d’une joyeuse blague, ou plutôt d’une subtile provocation, organisée par les services de presse de Khodorkovski, et le Parquet est tombé lamentablement dans le panneau.
Soit notre vieil ami polittechnologue, toujours aussi dévoué à la cause de l’État Russe et légèrement obsédé par les théories du complot en général, a tenté une fois de plus par ce coup médiatique d’attirer l’attention du pouvoir sur les erreurs commises dans la gestion de «l’affaire IOUKOS».