La Société Générale a mené l'assaut final contre le pétrolier en faillite, pour le compte de l'Etat russe.par Lorraine MILLOT
Cette fois ce sont les banques étrangères, à commencer par la Société Générale, qui jouent le rôle de fossoyeur de ce qui reste de Ioukos. L'ancien groupe pétrolier de Mikhaïl Khodorkovski, poursuivi pour avoir osé tenir tête à Poutine, a été placé mardi en redressement judiciaire jusqu'au 27 juin, date à laquelle son dépôt de bilan pourrait être prononcé. D'ici là, Ioukos sera géré par un administrateur extérieur, nommé par le tribunal, Edouard Rebgoun, présenté par la presse russe comme «lié aux forces de l'ordre». Mais, détail piquant, la faillite a été demandée par un consortium de banques occidentales, mené par la Société Générale (avec notamment la Deutsche Bank, Citigroup, BNP Paribas, ING et la Commerzbank), agissant pour le compte de l'Etat russe. Mieux : ces banques ont déposé à Moscou la demande de mise en faillite le 10 mars, alors qu'en décembre 2005, elles avaient déjà convenu de revendre leur créance à Rosneft, l'entreprise d'Etat du pétrole russe qui s'est déjà emparé du principal actif de Ioukos, Iouganskneftegaz. En 2003, ce consortium mené par la Société Générale avait prêté un milliard de dollars à Ioukos, créance dont il reste aujourd'hui 482 millions de dollars à rembourser, presque des cacahouètes vu les autres dettes de Ioukos (au total, Ioukos dit avoir été assommé par 33 milliards de dollars d'arriérés d'impôts soudain réclamés par l'Etat, et dont 21 milliards auraient entre-temps été payés).
Piraterie. «Les banques voulaient récupérer leurs créances et Rosneft leur a donné une possibilité de le faire, explique Evgueni Satskov, analyste de la compagnie d'investissement Metropol. Rosneft a d'abord commencé par contester les droits des banques, qui avaient fait garantir leur crédit par le pétrole de Iouganskneftegaz (repris par Rosneft en décembre 2004, ndlr). Puis Rosneft leur a proposé de racheter cette créance à condition que ce soit elles qui déclenchent la procédure de faillite de Ioukos.» Toujours soucieuses des apparences, les autorités russes, qui ont déporté Mikhaïl Khodorkovski au fin fond de la Sibérie et entamé le dépeçage de son empire, ont eu la géniale idée d'associer les banques étrangères à cette piraterie d'Etat. Et celles-ci, alléchées par les formidables perspectives de développement du marché russe, se sont laissées convaincre. La Société Générale développe à grande allure tout un réseau de filiales en Russie. De plus, Rosneft aurait fait miroiter de juteuses commissions lors de sa prochaine entrée en Bourse, annoncée pour juillet et comme la plus grande de l'histoire de la Russie. «Les banques ont agi sur l'ordre de Rosneft, dénonce Tim Osborne, représentant des anciens actionnaires de Ioukos. Rosneft leur a donné des garanties de récupérer leur argent mais aussi de participer à son introduction en Bourse.»
Riposte. Pour Ioukos, ce coup de ses créanciers étrangers est d'autant plus traître que le groupe avait encore l'espoir de vendre pour au moins un milliard de dollars sa part dans la raffinerie lituanienne Mazeikiu Nafta, afin de rembourser une partie de ses dettes et d'échapper à la faillite. Désormais, il ne reste plus guère aux anciens actionnaires de Ioukos, et notamment aux partenaires de Khodorkovski qui risquent d'être les plus lésés en cas de faillite, que le recours devant des tribunaux étrangers pour faire valoir comment leurs actifs ont été expropriés ou dévalorisés. Mais l'Etat russe pourra riposter que la mise en faillite de Ioukos a été demandée... par les banques étrangères.