Perquisitions, menace de sanctions disciplinaires, tracasseries administratives : les avocats russes chargés de dossiers sensibles sont confrontés à des difficultés croissantes. Dans l'affaire Khodorkovski, quatre des dix avocats - Anton Drel, Denis Diatlov, Elena Levina et Iouri Schmidt - ont dû, peu après le procès en appel, se présenter devant une commission professionnelle chargée de décider s'ils devaient être radiés du barreau.
La demande avait été formulée par le département moscovite des enregistrements, convaincu que les défenseurs de M. Khodorkovski avaient entravé la loi au moment du procès pour avoir refusé de remplacer au pied-levé l'avocat principal, Guenrikh Pavda, souffrant. Mais la commission, une émanation du collège des avocats, en a décidé autrement. "Je n'ai pas eu peur parce que je suis rompu à ce genre de difficultés mais vous imaginez ce qu'ont pu ressentir mes jeunes collègues...", explique Iouri Schmidt, la soixantaine, aguerri par la défense de dossiers difficiles à l'époque soviétique.
Pour Anton Drel, qui débute, les déboires avaient commencé avant la menace de radiation. En 2005, ses bureaux ont été perquisitionnés. Depuis, il reste sur le qui-vive : "Tant que je m'occupe de ce dossier, tout peut se produire." Depuis novembre 2005, M. Drel va régulièrement à Krasnokamensk, le lieu de détention de son client, à 6 600 km de Moscou. Une fois sur place, après un périple de plus de quarante-huit heures, rien n'est gagné : "Je dois attendre la fin de la journée de travail pour voir mon client. Cette règle n'existe dans aucun autre centre de détention." Depuis leur bureau du centre de Moscou, les avocats de l'ex- patron de Ioukos cherchent à prouver que les droits de leur client n'ont pas été respectés pour le choix de son lieu de détention. Ils préparent le dépôt d'une plainte à la Cour européenne des droits de l'homme. Selon la loi russe, tout condamné doit être incarcéré non loin de son domicile, "pour des raisons évidentes de maintien des liens familiaux et dans l'éventualité d'une réadaptation à la vie civile", précise M. Schmit.
L'administration pénitentiaire explique qu'il n'y avait aucune place disponible dans les prisons de la partie européenne du pays. Pour en avoir le coeur net, Iouri Schmidt a écrit aux directeurs d'une centaine de colonies pénitentiaires. Il a reçu près d'une trentaine de réponses. "Nous ne pouvons fournir ces données, elles sont secrètes", dit une des lettres. "Il s'agit de renseignements administratifs à usage interne", explique une autre. "Pourquoi votre papier à en-tête ne comporte-t-il aucun emblème ?", interroge le directeur d'un établissement pénitentiaire. "Veuillez vous présenter à la porte de la prison muni de vos papiers et de votre carte professionnelle", propose un autre.
Marie Jégo,
Article paru dans l'édition du 21.02.06