7.10.05
De toute la série de nouvelles concernant l’affaire Yukos dont fourmille la presse russe, les journaux français n’en ont retenu qu’une. Il est vrai qu’elle est de taille : les perquisitions ont repris au siège de Yukos. Comme deux ans auparavant, les enquêteurs du parquet général, appuyés par les forces d’intervention spéciales de la police, ont envahi le siège général de la compagnie, mais ont aussi rendu visite à de nombreuses filiales de Yukos, ainsi qu’à des banques et sociétés de conseil liées à la compagnie. Une fois de plus, le cabinet de l'avocat de Khodorkovski Anton Drel a été fouillé de fond en comble, sans que ce dernier n'ait eu le droit d'y assister (ce qui ne semble pas très légal). Par ailleurs, des perquisitions étaient également menées à la demande du parquet général russe au siège de la filiale hollandaise de Yukos, qui gère tous les actifs de la compagnie à l’étranger. Le parquet général a abondamment communiqué, ces derniers jours, sur cette "deuxième affaire Yukos", au centre de laquelle se trouve une accusation de détournement et de blanchiment de fonds pour une valeur de sept milliards de dollars.
Plus inquiétant, les enquêteurs ont également perquisitionné les bureaux de l’ONG "Russie Ouverte" fondée et dirigée par Mikhail Khodorkovski. Comme par hasard, ces derniers jours, "Russie Ouverte" avait fait l’objet d’une large campagne de diffamation à la télévision russe.
Selon les commentateurs russes, l'ONG, qui poursuit ses actions dans le domaine de l'éducation et de la défense des droits de l'homme, serait la nouvelle cible du pouvoir russe. Le quotidien d'affaires russe Vedomosti affirme quant à lui que le but de cette nouvelle attaque est de s'emparer des derniers actifs que Yukos possède encore à l'étranger.
Il y a cependant bien des choses surprenantes dans cette affaire. Tout d’abord, le moment choisi pour ces perquisitions – l’enquête a en effet été lancée il y a presque un an et demi, en juillet 2004. Les enquêteurs pensent-ils vraiment que les documents compromettants – à supposer qu’il y en ait – ait été gardé au frais pour eux pendant tout ce temps ? Une employée de l’une des sociétés de conseil "visitée" raconte en ces termes la perquisition : "Les enquêteurs sont arrivés accompagnés d’une vingtaine de membres des forces spéciales de la police. [Comme s’il s’agissait d’un repaire de dangereux terroristes! - L'Observatrice] Mais tous le temps qu’a duré la perquisition, les policiers n’ont rien fait, à part se servir dans notre frigo et nous obliger à aller leur acheter des pizzas. Finalement les enquêteurs n’ont rien emmené car ils avaient déjà pris toute notre documentation il y a un an …" Il semble donc que le parquet général travaille de la même manière que précédemment : il s’agit non pas de trouver des documents susceptibles de prouver de réelles malversations, mais de retirer l’ensemble de la documentation de sociétés parfaitement ordinaires, afin d’en décrire le fonctionnement en des termes criminels. Après tout, ce petit exercice essentiellement rhétorique à plutôt réussi jusqu’à présent.
Mais si la recherche des pièces à conviction tient de la farce, celle des témoins relève plus la tragédie. En témoigne l’inquiétante mésaventure survenue à l’un des anciens partenaires de Khodorkovski, l’hispano-russe Antonio Valdes Garcia. Valdes était jusqu'en 2002 le directeur de Fargoil, l’une des filiales de Yukos impliquée dans l’affaire de détournement de fonds. Mis en accusation, il s’était enfui en Espagne, mais à la mi-juin 2005, il décide apparemment de revenir et est arrêté dès son arrivée à l’aéroport de Moscou. Peu de temps après, on apprend qu’il serait revenu de son plein gré pour collaborer avec les enquêteurs, et se trouverait sous protection spéciale du FSB. Dans la foulée, le parquet général annonce que de nouvelles accusations vont bientôt être officiellement présentée contre Khodorkovski. C’est déjà le troisième effet d’annonce, mais cette fois-ci, tout le monde estime que le parquet a trouvé un témoin clé en la personne de Valdes Garcia et que donc le deuxième procès ne saurait tarder à commencer. Mais l’annonce officielle ne vient pas et le 5 septembre, Valdes Garcia est mystérieusement retrouvé dans un hôpital de Moscou, avec les jambes fracturées, les dents cassées et un traumatisme crânien. On parle de défenestration. Certains avancent même que Valdes aurait été en fait enlevé en Espagne. L’ambassade d’Espagne affirme ne pas pouvoir intervenir, car Valdes, né a Moscou, a également la nationalité russe, et est entré sur le territoire de la Fédération de Russie avec son passeport russe. Deux jours après, le témoin a de nouveau disparu, l’hôpital a "perdu" toute trace de son passage.
En attendant, l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe a de nouveau manifesté son inquiétude face à l’aggravation de l’état de santé du partenaire de Khodorkovski Platon Lebedev et a instamment demandé aux autorités russes de tout mettre en œuvre pour faire respecter le droit de Platon Lebedev à un examen médical pratiqué par le médecin de son choix.
Derniers développements
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L'arrestation du PDG de la compagnie pétrolière russe
YUKOS Mikhail Khodorkovsky marque un tournant important dans l'histoire
de la Russie contemporaine. Incarcéré le 25 octobre 2003,
il a été condamné à l'issue d'un
procès inquisitorial à huit ans de camp de travail.
M. Khodorkovsky durant son procès
Son directeur financier, Platon Lebedev, a reçu la même peine.
La dureté de ce traitement, disproportionnée par rapport aux faits qui leur sont
reprochés, laisse supposer des motifs politiques dans l'affaire
YUKOS : Mikhail Khodorkovsky est en effet connu pour ses convictions
libérales et pour le soutien financier qu'il a apporté
aux partis d'opposition lors des dernières élections. Parallèlement, la
compagnie YUKOS dont il était également le principal
actionnaire a été soumise à des redressements
fiscaux successifs toujours plus exorbitants, qui ont servi de
prétexte à confiscation de la plupart des actifs de
la société. Pour tenter de pallier un
certain déficit d'information en langue française, je me
propose de donner - dans la mesure de mon temps disponible - une
couverture au jour le jour de ce qui est perçu en Russie comme
"le procès du siècle".
L'Observatrice
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