L'appel de l'ex-patron de Ioukos et milliardaire russe Mikhaïl Khodorkovski, 42 ans, condamné en mai à neuf ans de prison pour "fraude fiscale" et "escroquerie à grande échelle" , a été rejeté, jeudi 22 septembre, par la justice russe, qui a confirmé le verdict de culpabilité de l'accusé et de son associé Platon Lebedev. Au terme d'une audition menée tambour battant, alors que le procès avait duré onze mois et que la seule lecture du verdict avait pris deux semaines, le tribunal a réduit d'un an les peines des deux hommes qui devront purger huit ans de prison "dans une colonie pénitentiaire ordinaire". La défense a annoncé son intention de porter l'affaire devant la Cour européenne des droits de l'homme une fois tous les recours épuisés.
Le verdict prononcé met fin aux aspirations politiques de l'ancien patron de la major russe considéré il y a peu comme l'homme le plus riche de Russie , qui ambitionnait de briguer un siège de député à la Douma (Chambre basse du Parlement) dans le cadre d'une élection partielle prévue le 4 décembre. Un comité de soutien à sa candidature regroupant en son sein des libéraux et des ultranationalistes avait été créé. En juillet, Mikhaïl Khodorkovski avait publié une lettre ouverte intitulée "Le tournant à gauche" qui invitait communistes, nationalistes et libéraux à s'unir.
A l'issue de l'audience, Iouri Chmidt, l'un des avocats de l'accusé, a dénoncé "une parodie de justice" , déplorant le peu de temps accordé à la défense pour l'étude du dossier "sept jours ouvrés pour 50 000 pages". Les protestations de l'avocat lui ont valu une mise en garde du juge Viatcheslav Tarassov, selon lequel "il s'agit d'une affaire criminelle ordinaire et pas d'un cas politique". "Je sais parfaitement de quoi il s'agit , a rétorqué Me Chmidt. A l'époque soviétique aussi, beaucoup de procès étaient décrits comme des affaires criminelles ordinaires."
UNE COURSE CONTRE LA MONTRE
Le tribunal n'a pas accédé à la demande de Mikhaïl Khodorkovski, qui réclamait un délai de huit semaines pour se familiariser avec le dossier. Ces derniers jours, une course contre la montre avait commencé entre le tribunal et l'accusé. L'oligarque souhaitait que sa candidature à la députation soit enregistrée, ce que la loi russe lui permet tant que sa condamnation n'a pas été prononcée définitivement. L'enregistrement des candidatures courait jusqu'au 19 octobre. A l'inverse, le tribunal était intéressé à prononcer la peine définitive au plus vite, pour empêcher celui qui se décrit comme un "prisonnier d'opinion" et possède de nombreux partisans à Moscou (28 % auraient voté pour lui, selon un sondage du centre d'études Iouri Levada) de se présenter. Alors que les tribunaux d'appel sont connus pour leur extrême lenteur en Russie, tout est allé très vite. Sept jours de procédure et cinquante minutes de délibération ont suffi pour rendre le verdict.
"Tout ceci n'a rien à voir avec la justice" , a déclaré le condamné, qui comparaissait en cage, comme il est d'usage en Russie. Dans un discours de deux heures, Mikhaïl Khodorkovski, vêtu d'une veste de daim marron et d'un blue-jean, souriant à ses avocats et à sa famille, a expliqué que son procès et la mainmise de l'Etat sur Ioukos, sa société numéro un de l'extraction lors de son arrestation en 2003 , étaient la décision "d'un groupe de bureaucrates" . "Le verdict de mon affaire a été décidé au Kremlin" , a-t-il insisté, avant d'être menotté et emmené par des policiers.
Dans la nuit de jeudi 22 à vendredi 23, l'un des avocats de Khodorkovski, Robert Amsterdam, de nationalité canadienne, a été victime d'une procédure tout à fait inédite. Alors qu'il était dans sa chambre d'hôtel à Moscou, cinq représentants des "organes" (forces de l'ordre, c'est-à-dire les services de sécurité ou la police) ont fait irruption dans sa chambre et se sont saisis de son passeport, pour le lui ramener quelques heures plus tard avec son visa annulé. Officiellement, l'avocat est accusé d'avoir été invité à Moscou par une société de consultants où"il n'a jamais mis les pieds", expliquait vendredi la radio russe.
Marie Jégo
Article paru dans l'édition du 24.09.05
(
Le Monde, 24.09.2005)