RUSSIE Le président russe fête ses 53 ans avec son ami Gerhard Schröder à Saint-Pétersbourg tandis qu'à Moscou, les jeunes opposants et l'ex-patron de Youkos, de sa prison, envoient aussi leurs voeux ironiques.
Irina de Chikoff
[08 octobre 2005]
Avec leur carte postale géante sous le bras, les jeunes militants du mouvement anti-Poutine, «Nous», sont à quelques mètres de la salle d'audience publique du chef de l'Etat. Ils collectent dans les rues de Moscou des signatures avant de remettre leurs voeux à l'administration présidentielle. Sur un côté de la carte, le portrait de Poutine. Peu flatteur. Sur l'autre, un texte court : «Nous» vous souhaite un bon anniversaire. Vous avez réussi beaucoup d'exploits : vous débarrasser d'une opposition importune, d'entrepreneurs trop entreprenants, de la liberté de parole à la télévision. Vous pouvez maintenant quitter le pouvoir l'âme en paix. Nous vous souhaitons d'être d'humeur orange.»
Les trublions auraient bien voulu organiser un meeting. La préfecture de Moscou ne les a pas autorisés à manifester parce que leur propos était trop «ironique». Or l'ironie n'est pas, selon les autorités, une catégorie politique, elle est de l'ordre du spectacle. Un show. Pour pouvoir se produire dans un lieu public, les saltimbanques doivent en faire la demande dix jours à l'avance. Econduit, Roman Dobrokhodov, leader de l'organisation orangiste russe, ne perd pas le moral. Il a imaginé une nouvelle forme de contestation qu'il testera aujourd'hui : cuire des nouilles dans un chaudron près d'Ostankino, siège de la télévision russe, pour dénoncer l'emprise du Kremlin sur les chaînes nationales.
La population de Saint-Pétersbourg indifférente
Tandis qu'à Moscou, la jeunesse rivalise d'imagination pour tenter de creuser une brèche dans l'indifférence de la population, à Saint-Pétersbourg, tout est prêt pour que le président puisse fêter dignement son 53e anniversaire. Avec une quinzaine d'amis proches dont Gerhard Schröder et son épouse Doris ainsi que la petite fille russe, Victoria, que le couple a adoptée. L'année dernière, «VVP», comme la presse russe appelle le chef de l'Etat, s'était rendu à Hanovre pour les 60 ans du chancelier, accompagné par un orchestre de balalaïka et un choeur de cosaques.
Jusqu'au dernier moment, le bataillon des balayeurs du palais Constantin, qui est devenu, à Strelna, près de la capitale impériale, la résidence personnelle de VVP, s'est surpassé. Habituellement l'anniversaire du président est fêté durant deux jours. Hier matin, VVP a reçu, avec modestie, les voeux de tous les chefs d'Etat d'Asie centrale venus participer à un sommet. Chacun a apporté un cadeau. On dit que VVP n'aime guère en recevoir mais comment refuser sans offenser un collègue ?
La soirée devait être plus intime. Moins guindée. Sous les lustres du palais Constantin, détruit pendant la Seconde Guerre mondiale, et entièrement restauré. Une de ses terrasses s'ouvre sur le golfe de Finlande. Dans le parc, une vingtaine de cottages ont été construits pour le sommet Russie-Union européenne de 2003. Chaque pavillon porte le nom d'une ville russe. Celui de VVP s'appelle tout simplement Saint-Pétersbourg.
Rien ne devrait troubler la quiétude des lieux. Loin de Moscou. De ses ragots. De ses gêneurs. Et des fâcheux, comme les gamins de «Nous». Ou bien de cet insolent de Mikhaïl Khodorkovski qui a eu le front de publier, dans le quotidien Komersant, une carte de bons voeux. Du fin fond de sa prison, l'ancien PDG du groupe pétrolier Youkos, condamné à huit ans de réclusion, regrette de ne pas avoir la possibilité de «féliciter en personne» Vladimir Vladimirovitch pour son anniversaire. Il s'amuse à faire un panégyrique moqueur du président «si sage, si généreux» avant de conclure, non sans espièglerie : «Que Dieu fasse que nous nous revoyions bientôt.»
Le Figaro, 10.10.2005