imanche, c'était la surprise totale : une entreprise inconnue remportait aux enchères Iouganskneftegaz, principale filiale du géant pétrolier russe Ioukos. Pas d'activité, un siège social qui se résumait à une épicerie... Ce qui n'empêchait pas Baikalfinansgroup de promettre 9,35 milliards de dollars (7 milliards d'euros) pour se payer le fleuron de Ioukos, acculé au démantèlement par la justice russe pour cause d'arriérés fiscaux impayés. Hier, c'était l'inverse : sans surprise aucune, la confirmation de ce que tout le monde pensait ou craignait. Le repreneur masqué n'était qu'un prête-nom permettant à l'Etat russe, via Rosneft, de reprendre en main le groupe pétrolier. Retour sur une semaine décisive dans l'agonie de Ioukos.
Ioukos est-il nationalisé ?
Oui, de fait. La compagnie pétrolière nationale russe Rosneft a annoncé hier la reprise de la totalité du capital de Baikalfinansgroup, le mystérieux repreneur. Elle prend ainsi le contrôle de la principale division de Ioukos. Ce qui revient à une nationalisation de fait de 11 % de la production pétrolière du pays. Cette prise de possession confirme le scénario d'une intégration des actifs du géant pétrolier dans un groupe énergétique contrôlé par le Kremlin. D'autant que Rosneft s'est engagé ces derniers mois dans un rapprochement avec le géant gazier Gazprom. Celui-ci a annoncé hier que cette fusion entrerait en vigueur au plus tard en janvier. L'acquisition de Iouganskneftegaz fera de Rosneft l'un des plus grands groupes pétroliers de Russie, avec 1,45 million de barils produits chaque jour, presque autant que la Libye. Ce qui permettra au Kremlin de renforcer son contrôle sur le secteur énergétique.
Les enchères étaient-elles truquées ?
Formellement non, en pratique, oui. Pour l'ancien vice-secrétaire américain au Trésor, Stuart Eizenstat, également un des responsables du holding Menatep, principal actionnaire de Ioukos, cette transaction est «l'une des plus grandes truanderies économiques de l'histoire». Ce dernier critique les Etats occidentaux pour leur absence de réaction face aux agissements de l'administration Poutine visant à détruire la compagnie pétrolière.
On ne sait toujours pas officiellement qui se cache derrière Baikalfinansgroup, groupe dont Poutine peinait hier à se souvenir du nom : «L'acquisition par Rosneft, compagnie détenue à 100 % par l'Etat, de cette compagnie... euh, je ne sais plus son nom, Baltiskaïa... Baïkal... Bref, de Iouganskneftegaz, s'est faite, selon moi, de manière tout à fait légale.» Pour le président russe, l'Etat a utilisé «des mécanismes légaux de marché pour assurer ses intérêts». Pourtant, Gazprom était lui-même candidat aux enchères à la reprise de la filiale de Ioukos. Il a été battu par Baikalfinansgroup, ce qui ne l'empêche pas, une semaine plus tard, de voir la société atterrir dans son périmètre, une fois la fusion avec Rosneft effective. Pour Menatep, le holding de Ioukos, Baikalfinansgroup n'était qu'«une couverture pour le gouvernement russe». Avant sa reprise par Rosneft, dont le président, Igor Setchine, est un proche collaborateur de Poutine au Kremlin.
Pourquoi tant de complications avant de nationaliser Ioukos ?
Pour se protéger de la justice internationale. «Toutes ces manipulations ont été faites pour éviter les poursuites en justice», estime Valeri Nesterov, analyste de la société d'investissement Troïka Dialog. En effet, un tribunal de Houston (Texas) avait demandé le 17 décembre une suspension de la vente des actifs de Ioukos. Poutine, lui, y voit une décision «inadmissible du point de vue du droit international» démontrant un «non-respect de la courtoisie internationale».
Que va devenir ce qui reste de la compagnie ?
La police a fait hier une nouvelle perquisition au siège de Ioukos à Moscou. Le reste de la compagnie devrait également être mis en vente par la justice pour éponger sa dette fiscale, tandis que Mikhaïl Khordorkovski, ex-PDG du groupe et son principal actionnaire, risque une peine d'emprisonnement de plus de dix ans.
(
Libération, 24.12.2004)