MOSCOU/LONDRES - Vladimir Poutine a défendu jeudi le rachat par la compagnie pétrolière d'Etat Rosneft de Iouganskneftegaz, la principale unité de production du groupe pétrolier Ioukos, le président russe affirmant que cette opération est conforme aux règles du marché.
Au cours d'une conférence de presse, il a déclaré qu'en nationalisant ainsi des actifs pétroliers, l'Etat défendait ses intérêts en revenant en arrière sur certaines des privatisations de la dernière décennie qui étaient, selon lui, abusives, voire illégales.
"Rosneft, qui est de facto détenue à 100% par l'Etat, a acheté Iouganskneftegaz. Je pense que tout a été fait dans le respect des méthodes du marché", a-t-il affirmé.
"Vous savez tous très bien dans quelles conditions nos privatisations ont été réalisées au début des années 90 et quelles méthodes ont été employées par certains, y compris en violation des lois alors en vigueur, pour acquérir une propriété de l'Etat qui valait des milliards", a ajouté le président russe.
La compagnie pétrolière nationale russe Rosneft a racheté mercredi la principale division de Ioukos, ce qui se traduit par une nationalisation de fait de 11% de la production pétrolière du pays et compromet gravement les efforts de Ioukos pour empêcher son démembrement.
"ON EST LA RISEE DU MONDE ENTIER"
Un dirigeant de Rosneft a confirmé à Reuters que la compagnie avait acquis la totalité du capital de Baikal Finance Group, la mystérieuse société qui avait remporté dimanche les enchères sur Iouganskneftegaz, principale division de production pétrolière de Ioukos.
"On est la risée du monde entier", estime Arkady Volsky, président de l'Union russe des industriels et des entrepreneurs. "Je ne comprends pas pourquoi il est nécessaire de créer une société de trois personnes dans l'une des brasseries de Tver pour racheter Iougansk", selon des propos rapportés par l'agence de presse Interfax.
Rosneft doit fusionner avec Gazprom, le monopole public du gaz, qui était donné favori pour la reprise de Iougansk, mais qui en a été empêché par une action en justice intentée par Ioukos aux Etats-Unis à l'encontre de toute société qui participerait à l'adjudication.
Gazprom a annoncé jeudi qu'il pensait pouvoir achever la prise de contrôle de la compagnie pétrolière publique Rosneft d'ici janvier au plus tard.
La vente de Iougansk par adjudication a constitué l'aboutissement des manoeuvres menées par le Kremlin pour décourager les ambitions politiques du principal actionnaire de Ioukos, Mikhaïl Khodorkovski, Moscou cherchant dans le même temps à reprendre le contrôle de secteurs stratégiques de l'économie abandonnés lors des privatisations à tout va des années 1990.
UNE PRODUCTION EGALE A CELLE DE LA LIBYE
Avec le rachat de Baikal, Rosneft se hisse parmi les premiers groupes pétroliers russes, avec une production de 1,45 million de barils par jour, presque aussi importante que la production totale de la Libye, l'un des pays membres de l'Opep.
Ce rachat de Iougansk par une entreprise d'Etat illustre clairement la détermination du Kremlin pour mettre la main sur le principal actif du groupe pétrolier Ioukos après avoir étranglé ce dernier par d'énormes redressements fiscaux de 27,5 milliards de dollars.
Il confirme en outre l'ascendant pris au Kremlin par les "siloviki", les partisans de la ligne dure, qui se sont engagés à couper les ailes aux oligarques, les hommes d'affaires qui ont bâti des fortunes en achetant à bas prix des actifs publics dans les années 1990 à la faveur du chaos qui a suivi l'effondrement du bloc soviétique.
L'adjudication de dimanche avait été remportée par Baikal Finance, une société jusque-là inconnue, avec une offre de 9,4 milliards de dollars.
La holding pétrolière Gazpromneft, cédée depuis par Gazprom, avait participé à la vente mais sans surenchérir, laissant ainsi le champ libre à Baikal.
Les avocats de Ioukos ont affirmé ensuite que, bien qu'il n'ait pas lui-même avancé une offre, Gazprom avait illégalement participé à l'adjudication, et qu'il avait de ce fait enfreint l'interdiction émise par un tribunal de Houston.
LE SUCCES DES RECOURS SEMBLE MAINTENANT IMPROBABLE
Le groupe pétrolier avait déposé son bilan auprès de ce tribunal texan pour tenter d'interrompre le processus de vente de sa principale division. Il a également menacé de réclamer pour plus de ving milliards de dollars de dommages et intérêt à toutes les parties ayant participé aux enchères sur Iougansk car la justice américaine avait ordonné que celles-ci soient suspendues.
"Nous avons dit que l'acquéreur de Iouganskneftegaz s'exposerait à de sérieux ennuis. Si le bénéficiaire de cette opération est finalement Rosneft, ce que nous avons dit s'appliquera également à cette compagnie", a déclaré le porte-parole de Ioukos Alexandre Chadrine à l'agence de presse Interfax.
"Ioukos confirme qu'il recourra à tout les moyens légaux pour contester cette opération illégale dans l'intérêt des dizaines de milliers d'actionnaires de la compagnie pétrolière", a-t-il ajouté.
Une nouvelle audience du tribunal de Houston sur le dossier est prévue le 6 janvier, mais des analystes soulignent que du fait de l'acquisition opérée par Rosneft, Iougansk est maintenant dans le giron de l'Etat et qu'elle pourrait de ce fait échapper aux actions en justice intentées par les actionnaires de Ioukos.
"Le gouvernement russe a une immunité souveraine. On ne peut pas poursuivre le gouvernement russe", résume Eric Kraus, stratège investissement chez Soblink Securities.
(Reuters via
Libération, 23.12.2004)