22.12.04
Avec le démantèlement en cours du premier groupe pétrolier Youkos, le tableau de bord de l'économie russe sous Poutine se précise à grande vitesse. Loin de s'expliquer par une grandiose bataille de l'Etat russe contre les requins du capitalisme eltsinien, le dépeçage de Youkos apparaît en effet comme une étape capitale dans l'émergence d'une oligarchie de «deuxième génération».
Pour la seconde fois en quinze ans, la propriété est en train de changer de mains en Russie, au terme d'une déprivatisation aux méthodes aussi contestables que l'avait été la privatisation des années 90. Contrairement à ce qu'avait laissé espérer Vladimir Poutine au début de son premier mandat, on n'est nullement sorti de la relation incestueuse entre pouvoir politique et monde des affaires. «Cette victoire du pouvoir traduit le retour à la norme, au primat de la bureaucratie politique sur l'économie. En Russie, la bureaucratie du pouvoir a toujours possédé les terres et les usines, et les a toujours distribuées ou reprises selon son bon vouloir», explique la sociologue Olga Krychtanovskaïa, chercheuse à l'Académie des sciences de Russie.
Curieusement, les oligarques ont mis du temps à comprendre. Surgis de terre comme des gratte-ciel new-yorkais il y a à peine dix ans, ces pirates des temps modernes, anciens piliers de la nomenklatura ou génies de la débrouillardise avaient profité du chaos de l'après-communisme pour accumuler des empires industriels de plusieurs milliards de dollars. Ces dernières années, ils estimaient avoir atteint la respectabilité. En s'attaquant au plus puissant d'entre eux, le pétrolier Mikhaïl Khodorkovski, patron de Youkos, le Kremlin a osé ce que l'ancien banquier Oleg Kissilev appelle «un 11-Septembre du business russe».
Aujourd'hui, la «nationalisation» se profile, affirme l'éditorialiste Mikhaïl Deliaguine du Moscow Times. Les requins du capitalisme à la russe sont devenus des «poissons rouges» inoffensifs, prêts à courber l'échine pour sauver leurs affaires. Beaucoup soldent leurs actifs pour émigrer. Ceux qui ont choisi de rester, en faisant allégeance au Kremlin, ne sont pas pour autant épargnés. Le cas de Mikhaïl Friedman, patron du puissant consortium industriel et financier Alfa, est à cet égard édifiant. Jusqu'ici en odeur de sainteté, il se retrouve au coeur d'une bataille pour le contrôle du marché de la téléphonie mobile, en concurrence avec un clan proche du ministre des Télécommunications Léonid Reïman, lui-même proche de la famille Poutine. L'empoignade est si sérieuse que les milieux économiques parlent déjà d'une affaire «Youkos2».
Les oligarques de première génération sont en réalité des gêneurs alors qu'une nouvelle élite économique, issue de Saint-Péterbourg et, très souvent, des rangs de l'ancien KGB, tente d'émerger. Pour l'instant, les nouveaux prétendants au rôle d'oligarques du Prince restent discrets. Mais des noms émergent. Sergueï Pougatchev, homme d'affaires proche de l'Eglise orthodoxe, originaire de Saint-Péterbourg, patron de la banque Mejprombank et de la compagnie Rosneft, entretient des relations privées intimes avec le Kremlin. Les frères Kovaltchouk, amis d'enfance supposés de Vladimir Poutine, contrôleraient aujourd'hui, à en croire l'ancien secrétaire du Conseil de sécurité russe Ivan Rybkine, les intérêts du Kremlin dans les médias russes. Guennadi Timchenko serait «l'homme de Poutine à Genève», selon le quotidien suisse L'Hebdo. Dans son édition du 27 février, la lettre confidentielle Intelligence Online précise que cet illustre inconnu, «trader pétrolier russe», serait «l'un des plus actifs» amis de Vladimir Poutine. Autant de signes qui poussent un homme d'affaires français à conclure : «La redistribution de la richesse nationale est en cours. Le système reste le même, mais les bénéficiaires vont changer.»
Laure Mandeville
( Le Figaro, 22.12.2004)
Derniers développements
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L'arrestation du PDG de la compagnie pétrolière russe
YUKOS Mikhail Khodorkovsky marque un tournant important dans l'histoire
de la Russie contemporaine. Incarcéré le 25 octobre 2003,
il a été condamné à l'issue d'un
procès inquisitorial à huit ans de camp de travail.
M. Khodorkovsky durant son procès
Son directeur financier, Platon Lebedev, a reçu la même peine.
La dureté de ce traitement, disproportionnée par rapport aux faits qui leur sont
reprochés, laisse supposer des motifs politiques dans l'affaire
YUKOS : Mikhail Khodorkovsky est en effet connu pour ses convictions
libérales et pour le soutien financier qu'il a apporté
aux partis d'opposition lors des dernières élections. Parallèlement, la
compagnie YUKOS dont il était également le principal
actionnaire a été soumise à des redressements
fiscaux successifs toujours plus exorbitants, qui ont servi de
prétexte à confiscation de la plupart des actifs de
la société. Pour tenter de pallier un
certain déficit d'information en langue française, je me
propose de donner - dans la mesure de mon temps disponible - une
couverture au jour le jour de ce qui est perçu en Russie comme
"le procès du siècle".
L'Observatrice
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