24.12.04
Le président russe Vladimir Poutine a justifié, jeudi 23 décembre, la procédure de rachat de la compagnie pétrolière Ioukos par une société écran, au profit du groupe public Rosneft. Selon lui, les enchères, qualifiées de simulacres par les observateurs occidentaux, ont été menées de façon correcte, et ont respecté les mécanismes légaux. Le rachat, mercredi 22 décembre, des parts détenues par l'Etat dans le groupe Magnitogorsk, deuxième sidérurgiste national, par des investisseurs privés liés à la direction, a jeté un nouveau trouble. Pour les investisseurs internationaux, la Russie est redevenue un pays dangereux. Ils sont de plus en plus nombreux à s'éloigner des valeurs russes qui avaient été cotées sur les places étrangères, pour symboliser l'ouverture économique du pays.
IOUKOS À L'ENCAN
"Les investisseurs ne peuvent que s'interroger pour savoir s'ils doivent engager de l'argent en Russie", a réagi Lee R. Raymond, le président exécutif d'ExxonMobil, en constatant les déboires de Ioukos. "Je suis surpris que le gouvernement russe ait bougé si vite, sans même chercher à trouver une solution après la décision du tribunal américain", s'étonnait un gérant de fonds, MDM Financial's Semet. Mais tous font le même constat. Malgré le soutien d'un tribunal de Houston, qui a accepté de placer les actifs américains du pétrolier sous la protection de la loi sur les faillites, le géant russe a bien été renationalisé.
La société Baïkalfinansgroup, qui s'est portée candidate au rachat de Iouganskneftegaz, la principale filiale de production de Ioukos, lundi 20 décembre, avait été créée trois jours auparavant. Elle a pu acquérir le principal actif du géant pétrolier au prix de 9,35 milliards de dollars (6,93 milliards d'euros), alors que le marché le valorisait entre 15 et 17 milliards. L'acquéreur s'est révélé n'être qu'un prête-nom pour la société publique Rosneft, qui doit elle-même fusionner en janvier 2005 avec le géant gazier public Gazprom. En dépit de leur protestation, les actionnaires n'ont plus grand-chose à attendre. L'action, qui cotait encore plus de 8 dollars en juillet, ne vaut plus aujourd'hui que 80 cents.
GAZPROM SOUS SURVEILLANCE
Pour de nombreux analystes, l'arrivée de Ioukos dans le giron de Gazprom n'est qu'un premier pas. "Cela s'inscrit dans un grand plan pour créer un groupe pétrolier supranational, contrôlé par l'Etat", prédit John Coast Sullenger, gérant pour le compte de la société Lombart Odier Darier Hentsch, à Genève. Le 30 novembre, le dirigeant de Rosneft, appelé à prendre la direction des activités pétrolières de Gazprom, avait indiqué que le groupe étudiait la possibilité d'acheter deux autres pétroliers, Surgut et Sibneft, afin de bâtir un géant de la taille d'ExxonMobil ou de la compagnie nationale saoudienne Aramco.
Cette perspective est loin de réjouir les investisseurs étrangers, qui y voient un retour en arrière, après les privatisations engagées à partir de 1993. Sans pour autant améliorer les performances de Gazprom. Malgré l'explosion des prix de l'énergie depuis le début de 2004, les bénéfices du géant pétrolier ont été divisés de moitié au premier semestre. "Les coûts de production, de maintenance sont hors contrôle. Le pétrole va servir de vache à lait pour les activités gazières", dit un gérant qui a décidé de réduire le poids de Gazprom dans son portefeuille.
LA SIDÉRURGIE AUSSI SOUS CONTRÔLE
Les péripéties qui ont entouré, mercredi, la vente de la participation de l'Etat russe dans Magnitogorsk (MKK), deuxième sidérurgiste russe, ne contribuent pas à rassurer les investisseurs. Tous s'attendaient à ce que le groupe russe Mechel, coté aux Etats-Unis, qui possédait déjà 17 % de MKK, se porte acquéreur des 23,8 % mis en vente par l'Etat. Il avait confirmé début décembre cette intention et s'était dit prêt à investir 2 milliards de dollars. Une opportune visite de la police dans ses bureaux l'a fait changer d'avis. Il ne s'est pas porté candidat au rachat. Le sidérurgiste Novolipetsk, qui s'était déclaré aussi intéressé, s'est finalement sagement abstenu de toute enchère.
Un consortium, qui s'est révélé être emmené par la direction de MKK, a pu acquérir la participation de l'Etat pour 790 millions de dollars. Dans la foulée, Mechel lui a vendu aussi sa participation de 17 %, pour 780 millions de dollars, et a reçu un complément de 90 millions de dollars pour couper court à toute réclamation contre MKK et ses actionnaires.
Martine Orange (avec Bloomberg)
( Le Monde, 24.12.2004)
Derniers développements
|
L'arrestation du PDG de la compagnie pétrolière russe
YUKOS Mikhail Khodorkovsky marque un tournant important dans l'histoire
de la Russie contemporaine. Incarcéré le 25 octobre 2003,
il a été condamné à l'issue d'un
procès inquisitorial à huit ans de camp de travail.
M. Khodorkovsky durant son procès
Son directeur financier, Platon Lebedev, a reçu la même peine.
La dureté de ce traitement, disproportionnée par rapport aux faits qui leur sont
reprochés, laisse supposer des motifs politiques dans l'affaire
YUKOS : Mikhail Khodorkovsky est en effet connu pour ses convictions
libérales et pour le soutien financier qu'il a apporté
aux partis d'opposition lors des dernières élections. Parallèlement, la
compagnie YUKOS dont il était également le principal
actionnaire a été soumise à des redressements
fiscaux successifs toujours plus exorbitants, qui ont servi de
prétexte à confiscation de la plupart des actifs de
la société. Pour tenter de pallier un
certain déficit d'information en langue française, je me
propose de donner - dans la mesure de mon temps disponible - une
couverture au jour le jour de ce qui est perçu en Russie comme
"le procès du siècle".
L'Observatrice
|
|