Nouveau rebondissement dans le volet suisse de l’affaire Ioukos: une enquête préliminaire est ouverte contre le Ministère public de la Confédération (MPC), pour violation du secret de fonction.
Le gouvernement a nommé à cette fin le procureur du Jura Yves Maître comme procureur fédéral extraordinaire
«J'ai été nommé procureur fédéral extraordinaire le 24 août», indique dimanche Yves Maître, revenant sur un article paru dans l’hebdomadaire dominical alémanique NZZ am Sonntag.
Le magistrat n'a pas voulu donner d'autres informations. Il ne dira donc pas s’il a déjà entendu le procureur général de la Confédération Valentin Roschacher.
Yves Maître précise simplement qu'il doit terminer son enquête préliminaire «dans les meilleurs délais» et qu'il dispose en principe d'un mandat de six mois.
Interrogé dimanche également, le porte-parole du MPC Hansjürg Mark Wiedmer se refuse à tout commentaire. Il souligne que le procureur extraordinaire travaille de manière complètement indépendante et que c'est à lui qu'il appartient d'informer.
Lettre aux Russes
Cette enquête préliminaire a été ordonnée à la suite d'une plainte déposée par la holding Menatep, principal bailleur de fonds du géant pétrolier russe Ioukos. Ce dernier est depuis plusieurs mois dans le collimateur de la justice russe pour fraude et évasion fiscale.
Les soupçons de violation du secret de fonction se basent notamment sur un article paru le 18 mars dans L’Hebdo. La NZZ am Sonntag rappelle que l’hebdomadaire romand avait alors publié des passages d'une lettre adressée par le MPC aux autorités russes.
Dans ce document daté du 10 mars, les enquêteurs suisses annonçaient le blocage provisoire de 6,2 milliards de francs dans cinq banques suisses. Ces fonds figuraient sur les comptes de 20 actionnaires de Ioukos, dont l'ex-PDG Mikhaïl Khodorkovski.
Ce gel, intervenu à la suite d'une demande d'entraide judiciaire russe, avait rapidement été rendu public par le parquet de Moscou. Ces déclarations avaient fait l'effet d'une bombe. Jamais une telle somme n'avait été gelée dans les coffres helvétiques.
Les avocats à l'attaque
Le MPC avait ensuite procédé à un gel formel de ces sommes, affirmant que les éléments transmis par les Russes permettaient de confirmer le blocage des avoirs selon la Loi fédérale sur l'entraide internationale en matière pénale.
Les enquêteurs avaient toutefois été désavoués en juin par le Tribunal fédéral (TF), qui avait levé le séquestre de plus de 4 milliards de francs. Le TF avait jugé que la procédure avait violé le principe de proportionnalité.
Le MPC avait alors subi une attaque en règle de la part de l'armada d'avocats engagés par Ioukos.
Ceux-ci ont reproché aux enquêteurs suisses d'avoir fait preuve d'un excès de zèle dans le cadre d'une affaire considérée en Russie comme inspirée en haut lieu pour mettre au pas un groupe trop indépendant. Et, qui plus est, dirigé par un homme qui pourrait faire de l’ombre au président Poutine lui-même.
Roschacher se défend
Les avocats reprochaient au MPC de n'avoir pas mené une enquête approfondie face à des arguments du Parquet russe qualifiés d'«insuffisants».
Valentin Roschacher avait rejeté ces accusations, soulignant que ses enquêteurs avaient demandé des compléments pour les points qui ne semblaient pas clairs. Il s'était aussi défendu contre le reproche d'avoir été dans cette affaire un «auxiliaire» du pouvoir russe.
Lu dans
SuisseInfo, le 7.11.2004)
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Il faut se rappeler quand même l'utilisation que les officiels russes avaient fait de cette information! La porte-parole du Parquet Général avait fait une retentissante déclaration, la veille même des élections, selon laquelle la somme soi-disant due par Ioukos au fisc avait été retrouvée dans des comptes en Suisse. Mais ensuite, on s'était rendu compte que ses fonds appartenaient au fond de pension des employés de la compagnie et les banquiers suisses avaient du les débloquer. Entre temps, du côté russe, le scandale avait eu l'effet voulu sur l'électorat et sur les cours des actions de Ioukos...