5.11.04
Le député Anatoli Ermoline s'est lancé dans une fronde contre le Kremlin, inattendue venant d'un élu du parti au pouvoir, Russie unie, où les voix discordantes ne s'expriment généralement pas, a fortiori pour dénoncer les récentes réformes du président Vladimir Poutine.
Recevant dans son bureau au huitième étage de la Douma (chambre basse du Parlement), cet ancien officier du KGB dénonce des "pressions" du pouvoir exécutif sur les élus et fustige des réformes qui "vont contre les principes du parlementarisme".
Il vitupère notamment contre le premier volet de mesures proposées par Vladimir Poutine pour "renforcer l'Etat", adopté en première lecture la semaine dernière par la Douma, et qui confie au chef de l'Etat la désignation des dirigeants régionaux, supprimant le suffrage universel.
Ce jour-là, M. Ermoline était "en déplacement à Bakou", la capitale azerbaïdjanaise, et n'a donc pas pu voter.
"A mon retour, j'ai découvert que mon vote avait été validé, comme favorable, contrairement aux consignes que j'avais laissées. C'est peut-être une erreur technique ?", relève le député du parti pro-Kremlin, dont la surprenante rébellion a largement piqué la curiosité de la presse d'opposition.
Arborant à 40 ans une coupe de cheveux à la Beatles et, comme tous les députés de Russie unie, le drapeau russe en pin's au revers de son veston, il explique s'être décidé à sortir de sa réserve "quand il est devenu clair que les députés n'étaient là que pour appuyer sur un bouton".
"Au début, Russie unie se présentait comme un parti centriste libéral qui faisait la promotion de l'unité du pays, de la société civile. Et j'y ai cru", dit-il, ajoutant que maintenant il percevait "une menace pour la Constitution".
"Depuis juillet, nous subissons de plus en plus de pressions, car des lois importantes ont commencé à être présentées", ajoute le parlementaire, fustigeant la "verticale du pouvoir" défendue par M. Poutine.
Sa révolte a été déclenchée cet été, explique-t-il, suite à une "invitation au Kremlin" pour une rencontre avec "un haut responsable de l'administration présidentielle", à laquelle il s'est rendu avec une quinzaine d'autres députés.
Leur faute commune était, selon le député Ermoline, d'avoir eu la mauvaise idée de s'abstenir sur un projet de loi visant à réformer le système d'aides sociales, alors que le reste de la fraction, forte d'une majorité de plus des deux-tiers dans cette Assemblée réduite à une chambre d'enregistrement, votait "pour".
"On s'est entendus dire que nous n'étions +en aucun cas des députés ou des représentants du peuple+ et on nous a prévenus que des membres de l'administration présidentielle avaient été chargés (de surveiller) chacun de nous", assure Anatoli Ermoline.
Cette rencontre a été perçue par le député comme une "convocation", qu'il a dénoncée dans une lettre envoyée cette semaine à la Cour constitutionnelle, appelant celle-ci à se pencher sur ce qu'il estime être une "violation de la Constitution".
Le député n'en est pas à sa première révolte épistolaire: fin octobre, il avait écrit au président de la Douma, Boris Gryzlov, pour dénoncer le lien, "tiré par les cheveux", fait par le Kremlin "entre les réformes politiques proposées et la menace terroriste".
Une critique de cette réforme politique --annoncée dans la foulée de la prise d'otages de Beslan et présentée comme un moyen de lutte contre le terrorisme-- que maintient cet ancien chef de commandos antiterroristes.
La démarche du député n'est pas sans susciter des interrogations., notamment en raison des liens qu'il entretient avec le géant pétrolier Ioukos. Il reste membre de la direction de Russie ouverte, la société philanthropique créée par l'ancien patron de Ioukos, Mikhaïl Khodorkovski, aujourd'hui en prison suite à une affaire considérée comme largement politique.
Lu dans Courrier International, le 5.11.2004)
Derniers développements
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certain déficit d'information en langue française, je me
propose de donner - dans la mesure de mon temps disponible - une
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L'Observatrice
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