Placé en détention provisoire depuis le 6 avril 2006, (et donc toujours présumé innocent), malade du SIDA et atteint d'un cancer, l'ex-juriste de la compagnie Yukos n'a reçu aucun soin jusqu'à ce jour. Par trois fois les autorités russes ont ignoré une décision de la Cour Européenne des Droits de l'Homme ordonnant de transférer le prisonnier dans un établissement de soins correspondant à la gravité de son état. Vassily Aleksanian, agé de 35 ans, est le père d'un petit garçon de six ans dont il assurait seul la garde.APPEL DE VASSILY ALEKSANIAN A LA PRESSE ET AUX DEFENSEURS DES DROITS DE L'HOMME
La Fédération de Russie est dans l'obligation d'obéir à l'Arrêt de la Cour Européenne des Droits de l'Homme, qui est le troisième rendu sur mon cas, exigeant que je sois d'urgence transféré de la prison où je me trouve actuellement dans une clinique civile spécialisée.
Les autorités russes ont complètement ignoré deux Arrêts analogues du 27.11.2007 et du 06.12.2008 respectivement. Voilà déjà 21 mois que je suis en soi-disant détention provisoire, sur la base d'accusation falsifiées et en tant que membre de la direction de la compagnie Yukos.
J'ai été obligé de m'adresser à la Cour Européenne des Droits de l'Homme pour tenter, littéralement, de sauver ma vie, car le pouvoir russe m'a conduit au bord de la tombe par ses actions.
Plus d'un an auparavant, à la suite d'une expertise médico-judiciaire, on a diagnostiqué chez moi une maladie mortelle. A ce moment déjà mon état exigeait une chimiothérapie intensive pour soutenir et prolonger ma vie. La conclusion des experts soumettait l'éventualité de mon maintien en détention à la possibilité de commencer immédiatement une chimiothérapie. Dans le même temps, les experts refusaient de se prononcer sur la question qui leur était posée par les enquêteurs, à savoir s'il était effectivement possible de pratiquer une telle chimiothérapie dans les conditions de vie en maison d'arrêt, du fait que cette thérapie présente elle-même un risque d'effets secondaires mortels et exige l'observation de procédures spéciales.
Depuis, malgré mes multiples requêtes et plaintes, je continue à être illégalement détenu en prison, sans avoir accès à la chimiothérapie qui m'est vitalement indispensable, et sans avoir la possibilité de recevoir des soins dans la clinique civile spécialisée auprès de laquelle j'ai été inscrit du fait de la maladie dignostiquée.
J'ai pourtant fait tout ce qui dépendait de moi pour obtenir que soit entreprise une chimiothérapie, y compris signer tous les protocoles et les décharges requis. Mais les soins n'ont toujours pas commencé.
De plus, les enquêteurs, tout en reconnaissant la légitimité de mes exigences, non seulement n'ont entrepris aucune action dans ce sens, mais, de concert avec l'administration de la maison d'arrêt, m'ont empêché de contacter le médecin référent et les spécialistes de ladite clinique.
Le résultat logique de cet état de choses a été une aggravation sensible de mon état de santé, l'évolution de la maladie vers un stade plus grave et l'apparition d'une série d'autres affections comme une tumeur du foie et des ganglions lymphatiques.
Finalement, vers le mois d'octobre 2007, mon état de santé est devenu critique. Depuis le 16.10.2007 le personnel médical de la maison d'arrêt a noté chez moi une fièvre permanente avec des poussées de température au dessus de 38°.
Mon état de santé s'est dégradé au point que même les mèdecins de l'établissement pénitentiaire de la maison d'arrêt 99/1 ont dû confirmer mon incapacité à participer aux procédures judiciaires. L'aggravation était si évidente que le 23 octobre, plusieurs médecins spécialistes civils convoqués en présence du médecin responsable de la maison d'arrêt ont conclu, après m'avoir examiné, que je devais être hospitalisé d'urgence dans une clinique civile pour passer des examens approfondis, préciser la cause de cette fièvre et recevoir des soins.
Cependant, au lieu de l'application de la recommandation des mèdecins spécialistes, j'ai été de façon totalement inattendue transféré à l'infirmerie d'une autre maison d'arrêt, l'établissement pénitentiaire 77/1 de Moscou. C'est là que je me trouve depuis lors, toujours sans avoir reçu la chimiothérapie nécessaire. Et ce malgré le fait que le 31.10.2007 les enquêteurs ont reconnu officiellement qu'il était impossible de me procurer les examens et les soins nécessaires au sein de la maison d'arrêt.
Cependant, au lieu de me faire placer comme attendu dans une clinique civile spécialisée, le Tribunal de la Ville de Moscou a pris le 15.11 la décision de prolonger, sur demande des enquêteurs, le délai de détention provisoire jusqu'au 2 mars, ignorant complètement les conclusions des médecins spécialistes recueillies le 23.10 et présentées au tribunal par ces mêmes enquêteurs. Ils s'appuyaient en revanche sur une note falsifiée des médecins de l'établissement d'arrêt 77/1 en date du 29.10 affirmant que je me trouvais dans un "état satisfaisant" et que je pouvais prendre part aux procédures judiciaires. Et ce alors même que dans mon dossier médical figurait un relevé de température de 39° pour le 29.10.
Le lendemain, les enquêteurs ont donc repris la procédure de lecture du dossier d'accusation, qui avait été suspendue depuis un mois à cause de mon mauvais état de santé. De plus l'enquêteur chargé de cette formalité a cessé de me donner la possibilité prévue par la loi de faire des déclarations et de formuler des requêtes dans le protocole de lecture du dossier d'accusation, comme c'était jusque là quotidiennement le cas durant toute la période précédente. Ainsi je me suis trouvé à partir de ce moment privé de la possibilité de faire valoir mes droits en tant que prévenu, et, ce qui est le plus important, je n'ai pas pu indiquer dans le protocole mes explications concernant l'évolution de mon état de santé devenu incompatible avec la poursuite de la lecture du dossier d'accusation.
Cette situation a créé artificiellement les conditions d’une limitation illégale de mes droits et de ceux de mes avocats à prendre connaissance des accusations portées contre moi, ce qui a été concratisé par la décision du Tribunal Basmanny de Moscou fixant la limite du délai de lecture du dossier d’accusation au 15.01.2008.
Comprenant que personne n’avait l’intention de me donner l’accès aux soins médicaux qui me sont vitalement nécessaires, je me suis adressé le 26 octobre à la Cour Européenne des Droits de l’Homme, qui, après avoir pris connaissance des documents fournis, a rendu un Arrêt ordonnant mon hospitalisation immédiate dans une clinique civile spécialisée. Cet Arrêt n’a pas été observé par la Fédération de Russie.
Le 06.12.2007 la Cour Européenne des Droits de l’Homme a réitéré son Arrêt, en précisant que je devais être hospitalisé au plus tard avant le 10.12.2007. Mais cet arrêt a été lui aussi ignoré par la Fédération de Russie, qui, au lieu de remplir ponctuellement ses obligations internationales dans le domaine du respect des droits de l’homme, a commencé à envoyer à Strasbourg des notes explicatives absurdes rédigées dans un mauvais anglais.
Il en a résulté une situation inédite, où la Cour Européenne des Droits de l’Homme s’est vue obligée d’exiger une troisième fois des autorités russes qu’elles se soumettent à sa décision de m’hospitaliser dans une clinique civile spécialisée avant le 27.12.2007.
Le comportement des autorités russes confirme pleinement le fait que non seulement les citoyens innocents persécutés dans le cadre de l’affaire Yukos ne sont protégés par aucune loi russe, mais qu’en plus ils sont de fait privés de toute possibilité de recours auprès d’institutions internationales de défense des droits de l’homme, pourtant officiellement reconnues par la Russie, comme c'est le cas de la Cour Européenne des Droits de l’homme.
Mais ces actions ne font pas que confirmer l’absence totale de lois en Russie, elles sont lourdres de conséquences tragiques pour moi personnellement. Durant les deux mois passés dans la soi-disante « infirmerie » de la prison, j’ai été contaminé par la tuberculose.
Ainsi, au bout de presque deux ans d’un emprisonnement illégal et avant même d’être jugé, étant déjà quasiment aveugle, j’ai été conduit aux portes de la mort par les actions conjointes, conscientes et préméditées des procureurs, des enquêteurs, des juges et des médecins de la prison.
Durant toute cette période, j’ai été soumis à une pression permanente visant à me faire porter des faux témoignages à charge contre d’autres dirigeants de la compagnie Yukos, en échange d’une libération pour raison de santé, c'est-à-dire en échange de la vie. C’est incroyable au 21 siècle, mais cela se produit dans la réalité, sous le voile du silence, de la dissimulation des faits et du mensonge.
J’en appelle à l’opinion publique russe et internationale pour arrêter ce lynchage absurde et sans fin de tous ceux qui ont été de près ou de loin liés à la compagnie « Yukos ». La présomption d’innocence, qui figure dans la Constitution russe ne doit pas se transformer en fiction et être foulée aux pieds au nom des intérêts de qui que ce soit.
Aleksanian Vassily Georgievitch, le 26.12.2007, Moscou
Orthographes possibles : Vassili, Vassily, Aleksanian, Aleksanyan, Alexanian, Alexanyan.Libellés : Aleksanian, document, traduction