Gazprom prend le contrôle du gisement défriché par Shell et deux firmes japonaises.Par Lorraine MILLOT
«Je veux remercier les parties prenantes pour la flexibilité dont ils ont fait preuve.» Une fois encore, c'est Vladimir Poutine, en personne, qui a le mieux résumé, avec un cynisme parfait, jeudi soir, les nouvelles règles du jeu économique en Russie. Autour de lui, au Kremlin, le président russe avait réuni les patrons de Gazprom, Shell, Mitsui et Mitsubishi pour sceller entre gentlemen le rapt du jour : assommées à coups d'«expertises écologiques», les trois compagnies internationales, qui avaient lancé depuis 1994 l'exploitation du gisement de gaz et pétrole de Sakhaline-2, ont été contraintes de céder à Gazprom le contrôle du consortium. Shell et les deux compagnies japonaises, qui avaient défriché ce gisement très prometteur au large de l'île de Sakhaline (entre la Russie et le Japon), ont dû remettre à Gazprom 50 % et une action du consortium, pour 7,45 milliards de dollars : un «prix d'ami», ironisent les analystes.
«Cadeau de Noël pour Gazprom», résumait vendredi le quotidien économique RBK Daily. «Le discount Poutine», renchérissait son concurrent Vedomosti, estimant que le juste prix pour ce paquet de contrôle aurait plutôt dû se situer entre 8 et 10 milliards de dollars. «Le prix convenu est pourtant mieux que rien, rappelle Mikhaïl Zak, analyste de la société russe Veles Capital. Il y avait aussi un risque que les compagnies étrangères ne reçoivent rien du tout et doivent simplement abandonner leurs actifs.» Après le dépeçage du groupe russe Ioukos à coups de redressements fiscaux, c'est ici la méthode du matraquage écologique qui s'est illustrée : depuis le mois d'août, les autorités russes avaient multiplié les inspections des sites de Sakhaline-2 et constaté... des centaines de crimes écologiques de tous genres. Shell et ses partenaires étrangers auraient infligé quelque 10 milliards de dollars de dégâts à l'environnement russe, avait déjà calculé Oleg Mitvol, responsable des services de protection de l'environnement. Dans le cadre des négociations avec Gazprom, ces problèmes écologiques semblent s'être miraculeusement arrangés : «On peut considérer la question comme réglée», a assuré Poutine jeudi soir.
«Tout ceci ne fait pas apparaître la Russie sous son meilleur jour, résume pudiquement l'analyste Mikhaïl Zak. Cette affaire montre aussi que les étrangers sont prêts à accepter ces risques spécifiques : Shell, principale victime de l'affaire, est tout de même prêt à continuer à travailler en Russie avec Gazprom. L'intérêt pour les actifs russes l'emporte encore sur les risques.»