Steven Theede, directeur général du groupe pétrolier russe, a remis sa démission jeudi, avant la réunion des créanciers. Selon lui, l’administrateur judiciaire, nommé pour étudier un plan de sauvetage de l’entreprise, s’apprêterait à prononcer sa mise en faillite. «Je ne peux plus rien faire qui puisse être profitable à la compagnie d'une manière ou d'une autre», telle est la justification apportée par le président de Ioukos, l’Américain Steven Theede, à sa démission, annoncée jeudi matin, alors qu’il devait rencontrer les créanciers du groupe pour discuter d’un plan de sauvetage. Une réunion que Theede qualifie dans sa lettre au conseil d’administration de «farce, à laquelle assisteront surtout ceux qui veulent détruire le reste de Ioukos».
L’ex-géant pétrolier, harcelé par la justice russe, est devenu une coquille vide et criblée de dettes, 17 milliards de dollars (13,6 milliards d’euros) au total. Le 28 mars dernier, la justice a placé le groupe en redressement judiciaire et nommé un administrateur provisoire chargé de statuer sur un éventuel plan de sauvetage. Les créanciers du groupe doivent examiner jeudi ce plan et décider d’une liquidation de Ioukos. Pour Theede, tout est déjà joué : «On me dit que [l'administrateur] conclut qu'une restructuration financière est impossible et qu'une liquidation est la seule option concevable.»
Ioukos, victime de la reprise en main par le Kremlin de son secteur énergétique La saga Ioukos commence dans la Russie du début des années 1990, lorsque l’Etat postcommuniste liquide son vaste domaine public. Comme d’autres compagnies, Ioukos hérite de la gestion d’une partie des immenses réserves pétrolières de l’ex-URSS.
En 1995, Boris Eltsine donne le feu vert à son rachat par un jeune entrepreneur russe, Mikhaïl Khodorkovski, pour 360 millions de dollars (288 millions d’euros). Moins de dix ans plus tard, en 2004, Ioukos est estimé à 27 milliards de dollars (21,6 milliards d’euros). Khodorkovski a multiplié la valeur son groupe par 75.
Mais les choses se gâtent avec l’arrivée au pouvoir du premier ministre, puis président, Vladimir Poutine. A l’opposé d’Eltsine, l’ancien directeur du KGB n’apprécie pas ces patrons de grands groupes trop influents. Surtout, il a compris que la souveraineté russe passe par la maîtrise de son secteur énergétique. En octobre 2003, Khodorkovski est arrêté, pour « escroquerie » et « fraudes fiscales à grande échelle et en groupe organisé ». Le Kremlin accuse Ioukos d’avoir voulu escroquer le fisc russe, pour une somme astronomique : 18,4 milliards de dollars pour les seules années 2000 à 2002.
Pour Theede, la mise en faillite est « illégale » Alors que Khodorkovski attend son procès en prison, les plaintes se succèdent contre son groupe. Loin d’être arrangeant, le Kremlin fait au contraire tout son possible pour qu’Ioukos ne puisse pas payer les sommes colossales qu’on lui réclame. En désespoir de cause, la direction tente de se placer sous la protection de la loi américaine sur les faillites, provoquant la colère de Poutine et de son entourage. Malgré une décision de justice favorable aux Etats-Unis, Moscou reste inflexible : le ministère de la Justice ordonne fin 2004 la vente d’une partie des actifs de Ioukos. Ils seront rachetés par des compagnies publiques, notamment Gazprom. Le 31 mars 2005, Khodorkovski est condamné à 9 ans de prison ferme. Il les purgera dans un pénitencier de Sibérie.
Ruiné, privé de ses filiales les plus rentables, Ioukos n’attend plus que le coup de grâce. En démissionnant, le PDG, Steven Theede a voulu montrer que la mort du groupe est programmée. «Je ne peux plus rien faire pour protéger les derniers actifs de la compagnie en Russie. Si la mise en faillite se produit, comme je l'anticipe, elle sera illégale et nous pourrons inclure notre demande de dommages et intérêts dans une démarche devant la Cour européenne des Droits de l'Homme», explique-t-il.
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Photo : Steven Theede et Bruce Misamore (lefigaro.fr)