A peine sorti du cachot, l'oligarque, qui purge une peine de huit ans de prison, a été attaqué par un codétenu. IL ÉTAIT L'HOMME le plus riche de Russie, loué à Washington et à Paris. Mais Mikhaïl Khodorkovski, 42 ans, subit aujourd'hui l'humiliation dans son cachot au fin fond de la Sibérie. Habitué à voyager en jet privé, l'oligarque, déchu depuis sa condamnation en mai dernier à huit ans de prison dans une colonie pénitentiaire, vient ainsi de sortir de sept jours d'isolement pour une «faute grave». L'ex-patron, qui fréquentait jadis tous les cocktails mondains, a osé boire du thé dans une pièce où le règlement l'interdisait. Après avoir réintégré sa cellule, le milliardaire a subi un nouveau coup. Physique, cette fois : un codétenu l'a blessé au visage avec un couteau.
Presque tous soumis au contrôle du Kremlin et du président Vladimir Poutine, les médias russes ne s'attardent guère sur les misères carcérales de Khodorkovski. Mais la radio indépendante Echo de Moscou et quelques sites Internet suivent presque quotidiennement le sort du héros de la cause libérale russe. Pour eux, aucun doute : condamné pour fraudes et évasions fiscales, l'ancien PDG du géant privé de l'or noir russe Ioukos est un prisonnier politique dont le sort a été scellé par le Kremlin. Pour écarter un ennemi potentiel et dépecer sa compagnie pétrolière au profit d'un groupe public, le président Poutine est soupçonné d'avoir profité de l'impopularité de Khodorkovski : dans les années 90, l'opportuniste banquier avait racheté pour une bouchée de pain l'un des joyaux de l'économie du pays alors que ces privatisations ont appauvri tant de Russes.
Peu aimé par la majorité de la population pour s'être enrichi trop facilement pendant les années postcommunistes, Khodorkovski ne suscite guère de compassion dans le grand public. Mais, alors que Ioukos est au bord du dépôt de bilan, son démantèlement presque achevé et son nouveau vice-président arrêté, les conditions d'emprisonnement de l'ex-patron provoquent la colère de quelques rares supporters. «Il s'est réveillé dans la nuit, le visage en sang. Son agresseur lui a tranché le visage avec un couteau de cordonnier», a ainsi protesté le service de presse de l'oligarque, assurant que les faits remontent à vendredi dernier.
Son avocat a précisé que la profondeur de l'entaille au visage est de 4 mm et que des points de suture ont été nécessaires. Une versioncontestée par la direction des services pénitentiaires. Selon elle, «une dispute a éclaté entre Khodorkovski et un jeune codétenu, et ce dernier lui a donné un coup dans le nez. Aucune blessure ouverte n'a été infligée. Il n'a qu'une égratignure.» Ajoutant à la confusion, Mikhaïl Khodorkovski a, depuis, annoncé qu'il renonçait à poursuivre en justice son assaillant.
Feuilleton carcéral
Ce feuilleton carcéral a connu un nouveau coup de théâtre hier, apportant même un peu de répit à l'oligarque. La juge du tribunal de Krasnokamensk, la ville sibérienne où il est détenu, a en effet donné suite à une plainte de son avocate locale. Et elle lui a même donné raison : la précédente mise au cachot avait été illégale.
En janvier dernier, l'oligarque avait en effet été placé en cellule d'isolement, après la découverte sur lui de deux directives du ministère de la Justice portant sur les droits des détenus, considérées par l'administration du camp comme des «documents interdits». Mais la juge a expliqué au contraire que «les directives du ministère de la Justice ne sont pas secrètes» ! Ce même tribunal local avait déjà annulé un blâme reçu en décembre par Mikhaïl Khodorkovski parce qu'il avait «quitté son poste de travail». Dans la prison sibérienne, il ne s'agissait pas d'un bureau mais... d'une machine à coudre.
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Pour comparer...
Aujourd'hui un tabloid russe a publié un entrefilet sur le Colonel Boudanov. Pour ceux qui ont oublié, il s'agit de ce gradé russe qui avait violé et assassiné une jeune fille tchétchène. Lui aussi est dans une colonie pénitenciaire, mais au lieu d'être obligé de travailler comme Khodorkovski, il s'occupe de la salle de sport, reçoit très souvent des visites et des cadeaux (même un vélo d'intérieur pour qu'il perde un peu de poids), et passe la plus part du temps à regarder la télévision dans sa cellule individuelle.