Même exilé dans un centre de détention de Sibérie, Mikhaïl Khodorkovski, l’ancien patron du groupe pétrolier Youkos, reste un embarras pour le pouvoir. Krasnokamensk, 71 000 habitants, au fin fond de la Sibérie, est en révolution. Les trois hôtels de la cité ne désemplissent pas depuis que Mikhaïl Khodorkovski est détenu dans la colonie pénitentiaire IK 10, à la périphérie de la petite ville. Les avocats, la famille de l’ancien PDG du groupe pétrolier Youkos, sont arrivés de Moscou chargés de sacs et de valises. Photographes et cameramen étaient sur leurs talons, bien que toute prise de vue soit interdite. Les autorités locales sont débordées. Le milieu est sollicité pour savoir si le centre de détention de Krasnokamensk est « rouge », c’est-à-dire contrôlé par l’administration pénitentiaire, ou bien « noir », ce qui signifie que les détenus y font la loi. Selon un caïd, la colonie IK 10 serait « rouge » avec des « poches noires ». Quant à Mikhaïl Khodorkovski, il aurait été favorablement accueilli car « être oligarque n’est pas une tare ».
Sur le site Internet de l’ancien patron du plus gros empire pétrolier de Russie, tous les jours, on peut suivre les aventures de celui qui se présente comme un nouveau « David » face au Goliath du pouvoir. Condamné à huit ans de détention pour fraude fiscale à grande échelle, au terme d’un procès entaché de nombreuses violations, le milliardaire russe, qui avait financé l’opposition libérale au Kremlin, a été envoyé dans la région de Tchita, à 7 000 km de Moscou, à proximité d’une mine d’uranium connue pour la dangerosité de ses émissions radioactives... « Il aurait pu céder, partir en exil en Occident, mais il a préféré rester, pensant pouvoir se défendre », a expliqué son principal avocat, Iouri Schmidt, venu à Paris cette semaine pour le lancement d’un comité de soutien. « Poutine veut le faire payer pour sa résistance », affirme le juriste qui ne comprend pas pourquoi « l’Occident se tait ». « Ce pouvoir n’arrête pas de mentir, comme à l’époque où je défendais des dissidents soviétiques », martèle l’avocat, dont le père a fait lui-même vingt-sept ans de camp sous Staline.
A Krasnokamensk, l’épouse de Mikhaïl Khodorkovski a reçu l’autorisation de passer trois jours avec son mari. Elle a apporté deux poêles, des pommes de terre, des carottes, des oignons, du chou, des salades et de l’huile de tournesol. Conformément au règlement en vigueur à IK 10, Inna Khodorkovskaïa pourra bénéficier de trois autres séjours dans la colonie. Neuf chambres, dans un pavillon spécial, sont réservées à ces visites matrimoniales. Les proches ont également droit à six parloirs annuels d’une durée de quatre heures. Le reste du temps, Khodorkovski partage sa cellule avec 160 prisonniers. « Je n’ai pas peur que d’éventuels droit commun mettent sa vie en danger, car il est psychologiquement si fort et si sociable qu’il arrive à trouver langage commun avec tous ceux qu’il fréquente, commente son avocat, Iouri Schmidt. Il ne lui arrivera rien, sauf si ordre est donné par les autorités à certains prisonniers de l’agresser. »
Surnommé « l’Intelligent »
Pour lui, le choix de cette prison sibérienne est délibéré. « Il nous faudra désormais sept heures de vol depuis Moscou pour rejoindre l’aéroport le plus proche de sa prison. Après, il y a encore 600 km à parcourir sur des routes non carrossables. » La famille de l’ancien oligarque songerait à acheter un appartement à Krasnokamensk. Mais la radioactivité dans la région rend une installation très difficile. Les Khodorkovski ont trois enfants, dont des jumeaux de 7 ans.
Malgré les difficultés, « Micha » semble garder un moral d’acier. Il a demandé une montre électronique avec plusieurs réveils, parce qu’il aime minuter ses journées. Il aurait décidé de préparer une thèse de doctorat. Il va peut-être enseigner l’histoire et les mathématiques dans l’école du pénitencier. Le millier de détenus, dont l’âge moyen est de 24 ans, l’ont surnommé « l’Intelligent ». Il est le seul d’entre eux à avoir reçu une éducation supérieure. L’oligarque déchu a également exprimé le désir de rencontrer le prêtre de Krasnokamensk, le père Sergueï Taratoukhine. Ce dernier avait été condamné à quatre ans de goulag dans les années 70 pour anticommunisme.
Jeudi, Khodorkovski a diffusé sur son site sa première adresse de Sibérie. Il y explique que le pouvoir a essayé de l’isoler « complètement du pays et du peuple, et de le détruire physiquement ». Mais, poursuit-il, « le combat ne fait que commencer ». A ceux qui le soutiennent, l’ancien millionnaire, qui se veut maintenant dissident, annonce que le « temps de la grisaille s’achève » au profit de celui des « héros ». « Le pays a besoin d’individus honnêtes et courageux pour s’occuper du destin de la société et de l’Etat, au lieu de s’enrichir, dit Khodorkovski. Ce sont eux qui sauveront la Russie de l’emprise des bureaucrates. » A Moscou, on affirme que le Kremlin goûte médiocrement l’insolence du détenu le plus célèbre du pays.