L'ancien patron du groupe pétrolier russe Ioukos a été condamné mardi à neuf années d eprison, comme son associé Anton Lebedev, pour fraude fiscale et escroquerie • Leurs avocats ont l'intention de faire appel d'une condamnation «décidée au Kremlin» •
Par Lorraine MILLOT
mardi 31 mai 2005 (Liberation.fr - 18:41)
Moscou, de notre correspondante
«Verdict cannibale», «parodie de justice», «retour aux années Staline»... Même attendue, la condamnation de Mikhaïl Khodorkovski et de son associé Platon Lebedev a causé un choc mardi en Russie. Au terme d'un procès de onze mois, que tout le monde savait n'être qu'un simulacre, les deux anciens dirigeants du groupe pétrolier Ioukos ont été condamnés chacun à neuf ans de prison, soit pratiquement la peine requise par le parquet (10 ans).
Ce verdict «servira de monument» à ce tribunal, a brièvement commenté l'ancien patron du groupe pétrolier Ioukos, reconnu coupable de fraude fiscale et d'escroquerie à grande échelle. «Je sais que ma condamnation a été décidée au Kremlin» a ensuite déclaré Khodorkovski, via un texte lu par un de ses avocats: «Certains représentants de l'entourage du président» prônaient l'acquittement, tandis que «d'autres ont estimé que je devais être mis en prison pour longtemps».
Cette sentence extrêmement sévère, au terme d'un procès très médiatisé, vise à «faire peur», relevaient mardi plusieurs analystes russes. «Ce verdict permettra non seulement de redistribuer des biens en faveur du pouvoir, mais d'intimider tout le monde», soulignait marid Irina Khakamada, dirigeante du petit parti libéral SPS. Avant même cette condamnation, Mikhaïl Khodorkovski a déjà été dépouillé de son groupe pétrolier, dépecé à coups de redressements fiscaux.
Mais ce verdict trahit aussi «la peur» du Kremlin face au milliardaire qui avait laissé entendre qu'il pourrait bien tenter de succéder à Poutine. «Khodorkovski restera en prison tant que Poutine est au pouvoir», pronostique mardi l'analyste politique Ioulia Latynina. L'affaire n'est pas terminée pour autant: ses avocats ont annoncé leur intention de faire appel non seulement en Russie, mais de s'adresser aussi à la Cour européenne des droits de l'homme.
George Bush a assuré hier que les Etats-Unis «suivront de près» cet appel. Jusqu'à présent, les timides protestations de l'Occident et des Etats-Unis en particulier n'ont pu que décevoir Mikhaïl Khodorkovski, qui avait escompté un soutien beaucoup plus efficace de ses anciens partenaires d'affaires.
«Une sentence aussi lourde confirme que ce régime est lui-même condamné. Cela pourrait nous mener à une révolution en Russie aussi», voulait croire Lev Ponomarev, un des plus célèbres défenseurs russes des droits de l'homme. A en croire un sondage express réalisé par la radio Echo de Moscou, dernier petit espace de libéralisme parmi les médias audiovisuels russes, 86% de ses auditeurs seraient «mécontents» de cette lourde condamnation, tandis que 14% seulement l'approuvent. Mais devant le tribunal, à peine une centaine de supporters de Mikhaïl Khodorkovski avaient eu la patience d'attendre la fin de cet interminable procès pour crier dans la rue: «Honte, honte, honte!»
Dans le reste du pays, la majorité des Russes semblent assez indifférents au sort de Khodorkovski ou se réjouissent qu'enfin «un des oligarques paie» pour leur misère. Mais beaucoup sont aussi bien conscients de l'arbitraire de ce tribunal. Manifestement sous le choc lui aussi, le présentateur de la télévision russe NTV ouvrait mardi soir son journal en rapportant une blague déjà entendue à Moscou: maintenant, Khodorkovski serait au moins le seul en Russie «à savoir de quoi demain sera fait».
(La dans
Libération, 1.6.2005)