L'un des oligarques russes les plus doués de sa génération, Mikhaël Khodorkovski s'est attiré les foudres du Kremlin en prenant trop d'indépendance dans le secteur pétrolier et en tenant tête à Vladimir Poutine. Son jugement qui devait être prononcé lundi 16 mai est suspendu jusqu'à mardi.
L'ex-patron du groupe pétrolier russe Ioukos s'est enrichi en faisant prospérer une compagnie acquise lors des privatisations controversées des années 1990. Il se retrouve 10 ans plus tard sur le banc des accusés.
Arrêté le 25 octobre 2003, Mikhaël Khodorkovski a été inculpé de sept chefs d'accusation, dont ceux d'escroquerie et de fraude fiscale "à grande échelle et en groupe criminel organisé". Le Parquet a requis contre lui dix ans de réclusion avec confiscation de ses biens. L'homme d'affaires de 41 ans a dénoncé une dernière fois, devant le tribunal qui a clos l'examen de l'affaire le 11 avril, un dossier "monté de toutes pièces".
Son groupe a été pratiquement démantelé en décembre dernier. Les huissiers ont vendu sa principale filiale productrice qui est finalement retombée dans l'escarcelle d'un groupe public, dirigé par un proche de Vladimir Poutine.
La plus grosse fortune de RussieMikhaïl Khodorkovski est, avant son arrestation, la plus grosse fortune de Russie (15 milliards de dollars). Tout indique qu'outre la mise au pas de Ioukos "pour l'exemple", il est devenu l'"homme à abattre".
En plus d'envisager un mariage entre Ioukos et la major américaine ExxonMobil, Khodorkovski ouvre ses vastes possibilités financières à l'opposition libérale. Il revendique le droit et le devoir du grand capital de s'impliquer dans la vie politique du pays. "Nous sommes face à un choix réel, entre l'autoritarisme et la société civile. Et nos forces sont plus ou moins égales", déclare-il à l'automne 2003.
Mikhaïl Khodorkovski, père de trois enfants, "ne regrette pas de ne pas avoir quitté le pays. Il savait parfaitement ce qui l'attendait", déclare dernièrement sa mère Marina. Partir "à l'étranger, nous ne l'avons jamais envisagé (...) Notre patrie est ici", souligne sa femme Inna lundi 16 mai dans le quotidien Izvestia.
"Surdoué", "charmeur", "ambitieux", "impitoyable" sont les traits de caractère que lui prêtent sans distinction ses adversaires et ses partisans.
Ses détracteurs lui reprochent d'avoir mangé au même "râtelier" que tous les oligarques, ces hommes d'affaires richissimes proches du Kremlin sous la présidence de Boris Eltsine. Et d'avoir pratiqué dernièrement un lobbying outrancier, notamment auprès des députés, profitant de sa puissance financière pour dicter des décisions au pays.
Valeur boursière multipliée par 120Ses supporters reconnaissent qu'il a fait de Ioukos la "meilleure compagnie du pays". Sa valeur boursière est multipliée par 120 entre 1998 et 2003 alors qu'il l'a acheté pour une bouchée de pain (350 millions de dollars) en 1995. Khodorkovski en détient un tiers du capital. Pour ses partisans, il est le premier à comprendre la nécessité de faire prévaloir la transparence dans sa compagnie, à l'encontre du climat d'opacité générale qui persiste dans l'économie russe, tout en investissant des millions de dollars dans des infrastructures sociales.
Ses parents ingénieurs ont été très présents pendant le procès. Quadragénaire de bonne éducation, à l'élégance discrète, Mikhaïl Khodorkovski a une enfance ordinaire dans la capitale russe.
Il est diplômé de l'Institut de chimie de Moscou et du prestigieux Institut d'études économiques Plekhanov.
Cadre des Jeunesses communistes (Komsomol) et membre du Parti communiste d'Union soviétique pendant un temps, Khodorkovski n'échappe pas aux deux passages obligés pour qui a de grandes ambitions au pays des soviets. Quand vient la Perestroïka, il gagne rapidement quelques millions de dollars dans des commerces divers.
En 1990, il fonde la banque Menatep qui laisse en plan ses créanciers étrangers lors de la crise financière de 1998. Mais cette banque deviendra par la suite une gigantesque holding coiffant des dizaines de sociétés dont l'ex-numéro un du pétrole russe Ioukos.
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Le Nouvel Obs, 16.05.2005)