16.12.04
Jamais jusqu'alors un groupe étranger n'avait décidé d'invoquer la loi américaine sur les faillites - appelée chapitre 11 - pour se mettre à l'abri. Le russe Ioukos vient de franchir ce pas. S'appuyant sur le fait qu'il a des actifs au Texas, le groupe pétrolier a demandé, mercredi 15 décembre, au tribunal de Houston de se mettre sous la protection de cette loi.
Créé au moment de la Grande Dépression, amélioré sans cesse par la suite, le chapitre 11 est un des dispositifs les plus connus du droit américain des affaires. Du sidérurgiste Bethleem Steel à la compagnie aérienne Pan Am, en passant par le courtier en énergie Enron ou le distributeur Kmart, de très grands noms américains des affaires y ont eu recours. Car il est très favorable pour les entreprises en difficulté.
Ainsi, dès qu'une société se place sous le chapitre 11, toutes ses dettes et échéances financières sont suspendues. Impossible dès lors pour les banques ou autres créanciers de demander des remboursements ou d'exiger des ventes d'actifs ; l'entreprise est en droit de refuser toutes les demandes. La seule obligation qui lui est faite est d'informer régulièrement le juge des faillites du déroulement de ses activités, des discussions avec ses créanciers, et d'afficher une totale transparence sur sa situation financière.
Ce dispositif donne aux entreprises une véritable position de force pour négocier des réaménagements de dettes face à ses créanciers. Cela a permis dans le passé d'éviter des dépeçages de grands groupes. En avril, le groupe de télécommunications WorldCom (renommé MCI) a pu sortir en bonne santé du chapitre 11, après avoir essuyé la plus grosse banqueroute de l'histoire économique des Etats-Unis en 2002. Les pertes avaient été évaluées à 104 milliards de dollars (77,5 milliards d'euros).
DÉCISION LOURDE DE CONSÉQUENCES
Pour Ioukos, pouvoir se placer sous le chapitre 11 constituerait donc une véritable protection. Mais il lui faut prouver qu'il peut y avoir droit. Mentionnant ses actifs au Texas, le groupe pétrolier affirme que le texte a une portée mondiale. La réponse du tribunal de Houston sera lourde de conséquences, non seulement diplomatiques mais aussi économiques.
Si Ioukos parvient à obtenir la protection de cette loi, cela créera un précédent juridique. Tous les groupes qui ont des actifs aux Etats-Unis pourront se prévaloir de cette décision pour se mettre, en cas de besoin, sous la protection de la loi américaine face à leur propre dispositif législatif. Ce qui reviendrait à créer un droit des affaires supranational dirigé par les seules autorités législatives et judiciaires américaines.
Martine Orange
( Le Monde, 16.12.2004)
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L'Observatrice
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