15.12.04
Le géant suédois, très présent dans le pays, est le premier groupe international à lever ce tabou.
Par Lorraine MILLOT
Moscou de notre correspondante
«J'ai peur pour ma vie», titrait hier le quotidien russe Izvestia, citant des propos que lui aurait tenus Lennart Dahlgren, le patron d'Ikea en Russie. Fort de son prodigieux succès en Russie, le géant suédois de l'ameublement est de fait la première grande entreprise internationale depuis très longtemps à oser porter sur la place publique les tourments que lui infligent les autorités locales. «Comme toutes les autres compagnies occidentales, nous sommes soumis au chantage, au sabotage et aux pressions pour payer des pots-de-vin, déclarait Lennart Dahlgren il y a quelques jours au quotidien suédois Dagens Industri. Dans de nombreux cas, nous sommes totalement à la merci du bon vouloir de potentats locaux.»
Le 2 décembre, Ikea aurait dû inaugurer dans la banlieue nord de Moscou un centre commercial de 230 000 m2 et 250 boutiques, attenant à son premier magasin moscovite, ouvert depuis 2000. Mais, juste avant l'ouverture, une commission administrative de contrôle a soudain refusé de déclarer le site conforme, arguant que la rampe d'accès au centre passerait au-dessus d'un gazoduc. «Depuis cinq ans, l'entrée d'Ikea était déjà au-dessus de ce gazoduc sans que personne s'en inquiète», rétorque-t-on à la direction d'Ikea Russie, signalant que la route Moscou-Saint-Pétersbourg et le chemin de fer, passent au-dessus de ce même tuyau...
Pour quiconque a l'habitude des affaires en Russie, il est clair qu'Ikea est la nouvelle victime d'un chantage des autorités locales, qui ont profité de l'approche des fêtes pour demander une petite rallonge à l'investisseur étranger. Ce qui est exceptionnel c'est qu'Ikea-Russie ait pris le risque de dénoncer publiquement ces pressions. Hier, l'entreprise paraissait d'ailleurs soucieuse d'apaisement.
Le ministre français de l'Industrie, Patrick Devedjian, de passage hier à Moscou, a confirmé, à mi-mots, que l'administration russe est souvent le problème principal auquel se heurtent les entrepreneurs étrangers : «Il y a des blocages administratifs, des autorisations qui tardent à arriver, le problème de la contrefaçon, a rapporté le ministre. Mais lorsqu'on creuse, on apprend de ces entrepreneurs qu'ils ont tout de même des taux de croissance de 30 ou 40 % par an.»
Hier, l'affaire était jugée suffisamment sérieuse par le Kremlin, pour que Poutine décide de recevoir le fondateur d'Ikea, Ingvar Kamprad. «La date n'a pas encore été fixée, il faut encore trouver une place dans l'agenda de Poutine», a déclaré une porte-parole du groupe. Avec l'affaire Ioukos et les attaques contre Vimpelcom (Libération du 13 décembre), les malheurs d'Ikea n'arrangent pas l'image du pays.
( Libération, 15.12.2004)
Derniers développements
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L'arrestation du PDG de la compagnie pétrolière russe
YUKOS Mikhail Khodorkovsky marque un tournant important dans l'histoire
de la Russie contemporaine. Incarcéré le 25 octobre 2003,
il a été condamné à l'issue d'un
procès inquisitorial à huit ans de camp de travail.
M. Khodorkovsky durant son procès
Son directeur financier, Platon Lebedev, a reçu la même peine.
La dureté de ce traitement, disproportionnée par rapport aux faits qui leur sont
reprochés, laisse supposer des motifs politiques dans l'affaire
YUKOS : Mikhail Khodorkovsky est en effet connu pour ses convictions
libérales et pour le soutien financier qu'il a apporté
aux partis d'opposition lors des dernières élections. Parallèlement, la
compagnie YUKOS dont il était également le principal
actionnaire a été soumise à des redressements
fiscaux successifs toujours plus exorbitants, qui ont servi de
prétexte à confiscation de la plupart des actifs de
la société. Pour tenter de pallier un
certain déficit d'information en langue française, je me
propose de donner - dans la mesure de mon temps disponible - une
couverture au jour le jour de ce qui est perçu en Russie comme
"le procès du siècle".
L'Observatrice
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