16.12.04
Moscou de notre correspondante
L'ambition proclamée de Vladimir Poutine, "doubler le PIB à l'horizon 2010", se réalisera-t-elle ? La croissance économique ralentit, en dépit des prix élevés du pétrole, importante source de revenus budgétaires. Le gouvernement russe a révisé ses prévisions pour 2005, annonçant une hausse du PIB de 5,8 %, contre 6,3 % projetés auparavant. Pour 2004, les autorités ont également abaissé leurs chiffres, avec un taux de croissance de 6,7 %, contre 7,3 % en 2003.
Les experts estiment qu'il faudrait un taux annuel d'au moins 7,8 % pour atteindre l'objectif fixé par le président russe.
Les optimistes continuent d'évoquer les surplus budgétaires enregistrés régulièrement depuis 2000, la stabilité du rouble, des taux de croissance qui restent élevés comparés aux économies occidentales, et l'heureuse conjoncture des prix du brut. La Russie est le deuxième exportateur de pétrole dans le monde après l'Arabie saoudite.
Mais certains analystes voient aussi le verre... à moitié vide. Ils notent que la production industrielle a faibli, se contractant en novembre pour la première fois depuis la crise financière de 1998, selon un indice de la Banque nationale de Moscou, et évoquent les dangers d'une dépendance croissante de l'économie aux exportations d'hydrocarbures.
Les facteurs expliquant le ralentissement de la croissance seraient un recul des investissements, le renforcement du rouble qui entame la compétitivité à l'exportation et accroît les coûts des entreprises, les doutes sur la protection de la propriété privée, la reprise de la fuite des capitaux (12 milliards de dollars en 2004, contre 3,8 milliards en 2003 selon les statistiques officielles) et le contrecoup de la mini crise bancaire de l'été. Les compagnies russes hésitent à investir, en raison des incertitudes liées à l'affaire Ioukos et de la pression bureaucratique sur les milieux d'affaires.
Le rythme de l'augmentation des exportations de pétrole, important facteur de croissance depuis quatre ans, ne pourra se maintenir sans la construction de nouveaux oléoducs et l'aménagement de ports et terminaux. Or les grands projets de pipelines permettant d'évacuer du brut de Sibérie vers les marchés asiatiques ou par Mourmansk en sont pour l'instant au stade de la réflexion.
Un récent rapport de l'Organisation pour la coopération économique et le développement (OCDE) souligne que la Russie n'a pas réussi à diversifier son économie pour réduire sa dépendance aux hydrocarbures et se protéger d'un retournement des prix mondiaux. La réforme du secteur bancaire et celle de l'électricité n'ont guère progressé. La transformation du géant Gazprom est au point mort.
L'expansion de Gazprom dans le secteur pétrolier ainsi que l'augmentation de la part de l'Etat dans son capital, augurent mal d'une réforme de ce monopole, chasse gardée de l'équipe entourant M. Poutine.
"L'inefficacité et la corruption des administrations publiques freinent la mise en œuvre des réformes structurelles, a relevé l'OCDE. L'exercice arbitraire du pouvoir de l'Etat reste l'une des principales menaces pesant sur la sécurité des droits de propriété en Russie. Il a un effet dissuasif sur les investissements directs étrangers, et constitue un obstacle au développement de bon nombre d'entreprises."
Le maintien d'une croissance forte est au cœur de l'ambition de Vladimir Poutine de "réduire de moitié la pauvreté" dans le pays. Les tensions sociales se sont accrues après l'annonce de la suppression, au 1er janvier 2005, des avantages sociaux accordés depuis l'époque soviétique aux retraités, vétérans et invalides. Les grèves d'enseignants et d'ouvriers se multiplient.
La Douma a voté, mercredi 15 décembre, une augmentation progressive du salaire minimal, qui restera néanmoins dérisoire (1 100 roubles en 2006, soit 29 euros).
Une grande partie des revenus de la population restent "dans l'ombre". En dépit des problèmes sociaux, dans la santé et le logement, le budget 2005 fait la part belle aux dépenses liées à la défense, qui augmentent d'environ 28 %.
L'aile "libérale" du gouvernement, incarnée par le ministre du développement économique et du commerce, Guerman Gref, a multiplié les mises en garde contre une "augmentation de la présence étatique dans les secteurs privés de l'économie". Dans une critique voilée de l'action des autorités dans l'affaire Ioukos, M. Gref a attribué le ralentissement de la production industrielle à un recul des investissements, lié "aux signaux contradictoires" émis par le pouvoir.
Les investissements dans le secteur pétrolier ont baissé de 20 % sur les neuf premiers mois de l'année. "Les relations entre le monde des affaires et le pouvoir se sont tendues", a dit le ministre, regrettant la pause dans les réformes.
Natalie Nougayrède
( Le Monde, 16.12.2004)
Derniers développements
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il a été condamné à l'issue d'un
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Son directeur financier, Platon Lebedev, a reçu la même peine.
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certain déficit d'information en langue française, je me
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L'Observatrice
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