30.10.04
Il assimile à "du vol" le prix fixé par les autorités pour sa principale filiale.
Londres de notre correspondant
Ioukos, numéro un du pétrole russe, est pris depuis plus d'un an dans une tourmente judiciaire. Pour empêcher la vente d'actifs du groupe, sept membres du conseil d'administration sur onze ont proposé, mardi 26 octobre, que la société se déclare en faillite. La banqueroute est-elle possible ?
Jusqu'à présent, nous avons réussi à éviter la faillite grâce à la coopération de nos clients et de nos fournisseurs. Nous allons tout faire pour survivre, et faisons tout pour maintenir le niveau de production. En 2004, la production devrait s'élever à 1,72 milliard de barils jour, conformément à nos objectifs. Nous dirigeons la compagnie au jour le jour et nous le ferons tant que nous le pourrons, mais cette situation ne peut pas durer. Pour assurer l'avenir de la compagnie, la banqueroute est peut-être la meilleure solution dans la mesure où elle permettrait d'impliquer tous les créditeurs du groupe de manière ordonnée et équitable.
Ioukos s'efforce de trouver une solution avec les autorités. Nous parlons, eux écoutent, mais ne répondent jamais à nos propositions pour tenter de dénouer la crise. L'attaque contre Ioukos est à 100 % une affaire politique.
Où en êtes-vous des remboursements des arriérés d'impôts, qui se chiffrent en milliards de dollars ?
La justice nous a condamnés à verser 3,6 milliards de dollars (2,8 milliards d'euros) pour 2000, et 4,1 milliards de dollars pour 2001. Le fisc est en train de vérifier les exercices 2002 et 2003. Pour 2000, nous avons réglé à ce jour plus de 2,7 milliards de dollars. Nous contestons devant les tribunaux la somme réclamée pour 2001, qui comprend notamment 1,4 milliard de dollars d'amendes pour le moins douteuses. Ces arriérés d'impôts sont illégaux aux termes de la législation russe. Les autres compagnies pétrolières russes ont utilisé des schémas d'optimisation fiscale identiques aux nôtres sans avoir de problèmes.
Ioukos veut trouver un terrain d'entente dans l'intérêt de toutes les parties, en particulier les actionnaires minoritaires. Le défi auquel nous sommes confrontés est que nous n'avons aucune confiance dans l'indépendance du système légal et des tribunaux russes.
Comment gérez-vous le groupe actuellement ?
Ioukos a un avenir mais la gestion au jour le jour est compliquée car le gouvernement accapare la totalité de notre trésorerie. La première moitié est utilisée pour régler les arriérés d'impôts, l'autre moitié sert à payer les taxes pour l'exercice en cours : droits minéraux, taxes d'exportation et accises normales. Les comptes sont bloqués, ce qui pénalise la planification des investissements. Ce n'est pas tenable. Ainsi, nous sommes dans l'impossibilité d'honorer certains contrats. On a dû partiellement suspendre nos livraisons de pétrole brut à la Chine, en raison du gel des comptes bancaires du groupe par la justice, ce qui rend impossible l'acquittement au préalable des frais de transport et de douane.
A l'inverse des compagnies occidentales, les sociétés pétrolières russes ne profitent pas de l'actuelle flambée du brut. En effet, au-delà de 25 dollars le baril, les revenus sont taxés à 90 %.
Comment comptez-vous protéger Iouganskneftegaz, principale filiale du groupe, qui extrait 60 % du brut de Ioukos, et que la justice russe veut vendre pour éponger la dette fiscale ? Le ministère russe de la justice entend mettre aux enchères 76,8 % du capital pour un prix compris entre 3 et 4 milliards de dollars...
Ioukos n'a pas déterminé de stratégie pour contrer un acheteur potentiel de Iouganskneftegaz. Nous entendons toutefois protéger les droits de tous nos actionnaires. La banque Dresdner Kleinwort Wasserstein a valorisé notre filiale de 15 à 18 milliards de dollars en tenant compte de 2 milliards de dollars d'engagements financiers hypothétiques que nous contestons. A nos yeux, un chiffre de 20 milliards de dollars constitue une bonne évaluation. Dans ces circonstances, l'estimation de 3,7 milliards de dollars faite par les autorités est purement et simplement du vol. Une telle vente se ferait en violation de la législation russe.
Quel est l'impact de l'affaire Ioukos sur les investissements étrangers dans le secteur énergétique russe ?
En 2003, la Russie est devenue le premier producteur mondial ex aequo avec l'Arabie saoudite. Ce pays possède les deuxièmes ressources au monde, selon nos estimations. Mais l'exploitation de ce potentiel se heurte à trois problèmes. D'abord, l'amélioration du système de transport des hydrocarbures. Ensuite, la clarification du cadre légal et fiscal pour attirer les investissements étrangers dans les nouvelles zones comme la Sibérie orientale. Enfin, les compagnies indépendantes de l'Etat sont plus que jamais exposées au risque politique.
Propos recueillis par Marc Roche
(Lu dans Le Monde, 29.10.2004)
Derniers développements
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L'arrestation du PDG de la compagnie pétrolière russe
YUKOS Mikhail Khodorkovsky marque un tournant important dans l'histoire
de la Russie contemporaine. Incarcéré le 25 octobre 2003,
il a été condamné à l'issue d'un
procès inquisitorial à huit ans de camp de travail.
M. Khodorkovsky durant son procès
Son directeur financier, Platon Lebedev, a reçu la même peine.
La dureté de ce traitement, disproportionnée par rapport aux faits qui leur sont
reprochés, laisse supposer des motifs politiques dans l'affaire
YUKOS : Mikhail Khodorkovsky est en effet connu pour ses convictions
libérales et pour le soutien financier qu'il a apporté
aux partis d'opposition lors des dernières élections. Parallèlement, la
compagnie YUKOS dont il était également le principal
actionnaire a été soumise à des redressements
fiscaux successifs toujours plus exorbitants, qui ont servi de
prétexte à confiscation de la plupart des actifs de
la société. Pour tenter de pallier un
certain déficit d'information en langue française, je me
propose de donner - dans la mesure de mon temps disponible - une
couverture au jour le jour de ce qui est perçu en Russie comme
"le procès du siècle".
L'Observatrice
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