14.10.04
Le ministère de la justice a annoncé la vente des principaux actifs du groupe pour combler sa dette fiscale. Le Kremlin entame ainsi une vaste réorganisation du secteur des hydrocarbures.
La première compagnie pétrolière russe, Ioukos, depuis plus d'un an sous les tirs croisés de la justice, a cette fois perdu toute marge de manœuvre dans le règlement de son énorme dette fiscale. Mardi 12 octobre, le ministère russe de la justice a annoncé la mise en vente des actifs de sa principale filiale de production, Iouganskneftegaz.
En touchant au "joyau" de Ioukos, la justice donne le signal d'un dépeçage depuis longtemps redouté par la compagnie, liquidant la dette... et le groupe.
Officiellement, c'est le "rythme des remboursements" qui est en cause. Selon le communiqué du ministère de la justice, "les délais de remboursement de la dette ayant été dépassés sans justification, le ministère a décidé de vendre une partie des actifs de Iouganskneftegaz". Depuis un an, le groupe s'est trouvé confronté à plusieurs difficultés : refus de la justice des propositions d'autres consortiums pour payer la dette de Ioukos, gel des comptes et saisie des actifs fin août 2004. Ioukos a maintenant dix jours pour protester contre cette décision de l'Etat russe, qui mettrait concrètement un terme à son rang de premier groupe pétrolier du pays.
En choisissant la compagnie Iouganskneftegaz, la justice touche à une partie vitale du groupe : la filiale réalise 62 % des extractions de pétrole effectuées par Ioukos. "La dette de Ioukos représente 3,73 milliards de dollars, et la valeur de Iouganskneftegaz est, selon la banque chargée de l'estimation, de 10,4 milliards de dollars", a expliqué le chef du département moscovite du ministère de la justice, Alexandre Bouksman, cité par l'agence Interfax et l'AFP.
"RISQUES ÉLEVÉS"
L'estimation de la filiale a provoqué l'étonnement de certains analystes : elle est nettement inférieure à celle évoquée ces dernières semaines dans la presse, y compris par la Dresdner Kleinwort Wassertein, chargée de l'estimation, ou le vice-ministre de l'énergie, Ivan Materov. Jusqu'à présent, le montant oscillait entre 15 et 17,4 milliards de dollars. L'Etat a expliqué avoir pris en compte les "risques élevés pour l'acheteur potentiel". Deux événements pourraient aussi avoir fait baisser le prix : la confirmation par la justice d'une requête du fisc contre Iouganskneftegaz, et la menace du retrait de la licence d'extraction.
Mais les analystes n'écartent pas une nouvelle manœuvre de l'Etat. "D'après la loi, le revenu tiré de la vente des actifs doit rembourser la dette, et le surplus doit être remis à Ioukos. Mais on peut craindre qu'au moment de la vente le fisc finisse par trouver de nouveaux arriérés d'impôts... dont le montant corresponde parfaitement à la somme restante", prévient Albert Eganian, partenaire au sein de la compagnie juridique Vegas-Leks.
S'exprimant dans l'après-midi sur la radio Echo de Moscou, Alexandre Chadrine, porte-parole du groupe, disait n'avoir reçu ni évaluation de la banque ni décision du ministère de la justice. La Bourse de Moscou a réagi en interrompant les transactions de Ioukos après une chute du titre de plus de 10 %.
En attendant la vente aux enchères, que devrait orchestrer le Fonds des propriétés d'Etat "avant fin novembre", les spéculations continuent sur les acquéreurs potentiels de Iouganskneftegaz. Plusieurs fois, le président Vladimir Poutine avait déclaré qu'il ne s'agissait pas d'une nationalisation dissimulée. Pourtant, le géant gazier Gazprom, qui entend fusionner avec le pétrolier Rosneft, serait en mesure de racheter les actifs pour devenir un monstre public des hydrocarbures. Sourgoutneftegaz, Loukoil (numéro 2 du pétrole russe), TNK-BP (numéro 3) pourraient aussi se montrer intéressés.
Le 4 octobre, dans un article du quotidien Gazeta intitulé "Personne ne veut de Iougansneftgaz", ces compagnies déclaraient, certes, ne pas être prêtes et refusaient de prendre part à une vente aux enchères. Mais, selon l'analyste financier Maxime Cheîne, cité par l'agence d'information Lenta.ru, Sourgoutneftegaz, compagnie considérée proche du pouvoir, envisage de se porter candidate à certains gisements exploités par Iouganskneftegaz et qui sont situés proches des siens.
Mais, plus que géographique, la question est politique. "Ioukos ne peut pas gagner pour la bonne raison que l'Etat ne peut pas perdre. Le gouvernement a décidé de liquider la dette de Ioukos au moyen de Iouganskneftegaz. Si cette dette est entièrement couverte, alors le gouvernement aura les moyens de mener une stratégie sur le long terme", indique Kajus Rapanou, analyste au sein de la compagnie financière Ouralsib et qui considère que l'acheteur devra d'abord aligner sa politique sur celle de l'Etat. "Entre le gouvernement et Ioukos, ajoute-t-il, c'est un conflit stratégique pour la domination du secteur. Poutine veut faire de la Russie une nouvelle Arabie saoudite et avoir un rôle dans l'établissement du prix du pétrole."
Madeleine Vatel, Moscou.
(Lu dans Le Monde)
Derniers développements
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L'arrestation du PDG de la compagnie pétrolière russe
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de la Russie contemporaine. Incarcéré le 25 octobre 2003,
il a été condamné à l'issue d'un
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M. Khodorkovsky durant son procès
Son directeur financier, Platon Lebedev, a reçu la même peine.
La dureté de ce traitement, disproportionnée par rapport aux faits qui leur sont
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certain déficit d'information en langue française, je me
propose de donner - dans la mesure de mon temps disponible - une
couverture au jour le jour de ce qui est perçu en Russie comme
"le procès du siècle".
L'Observatrice
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