La Suisse n'est pas la Russie
Les 14 et 15 juin, les tribunaux suisses ont débloqué une bonne partie des comptes bancaires de Ioukos, qui avaient été bloqués à la demande du parquet général russe.
Le Parquet Général suisse est quasiment obligé dans un premier temps d'accéder à la demande de son équivalent russe, avant même de mener sa propre enquête. Mais après vérification, il s'est rendu compte que l'origine de cet argent n'est pas douteuse. Les comptes en Suisse n'étaient pas détenus illégalement, l'expression "Compte en Suisse" n'est pas automatiquement synonyme de fraude et d'évasion fiscale (contrairement à ce que le Parquet Général essaie de faire croire au brave électeur russe), et tout le monde a le droit d'ouvrir un compte où il veut, d'autant plus que comme toute grande banque d'affaires Menatep a ses filières là-bas.
La décision, prise après enquête par les tribunaux suisses (qui ont la mauvaise idée de ne pas être directement reliés par téléphone au Kremlin) de débloquer les comptes de la compagnie équivaut à un désaveu cinglant pour le Parquet Général russe. C'est en effet la preuve que, contrairement à ce qui avait été proclamé par les autorités russes, ces comptes ne correspondent nullement à des opérations illégales et que ce ne sont nullement les comptes personnels de Khodorkovski, mais les fonds de pension de la compagnie. A la place de Natalia Vishnjakova, la porte-parole du parquet général, que l'on a vu et entendu débiter ces fadaises sur tous les écrans de TV russes (deux jours avant la présidentielle – comme c'est bizarre!), je me renverserais un seau de cendres sur la tête!!! Le Parquet Général se retrouve tout bonnement dans la position du menteur.
Quant aux comptes concernés, il ne s'agit pas qu'un véritable "fond de pensions", mais d'un programme social interne à l'entreprise, ce qui non seulement n'est pas illégal, mais est hautement encouragé par le gouvernement russe. Ainsi par exemple, le président patronne un concours de «management social» pour distinguer les entreprises qui font des efforts particuliers pour le bien-être des salariés – politique de salaires, organisation des loisirs, des congés et des soins médicaux, programmes à destination des retraités et des enfants du personnel de la compagnie. En décembre 2002 Ioukos avait été deux fois nominé dans ce concours et Khodorkovski personnellement chaleureusement félicité par le président lui-même. On peut lire cette information même dans les archives du site officiel de la présidence :-)
"La parole est d'argent…" (un "bon mot" du président)
Le 17 juin, lors d'une conférence de presse à Tachkent, Poutine a fait la déclaration suivante (elle est un peu embrouillée, pas facile à traduire!)
"Il n'est pas de l'intérêt du pouvoir officiel, du gouvernement de Russie de mettre en faillite une compagnie comme Ioukos. En ce qui concerne la façon dont vont se dérouler les procès dans les instances judiciaires, c'est une autre chanson. Seules peuvent le dire les instances judiciaires elles-mêmes au cours de l'examen de l'affaire. Les dettes, cela relève des instances judiciaires, pour le moment elles sont en train de les évaluer. Si la loi le permet, je pense que le gouvernement essaiera de faire en sorte de ne pas faire s'effondrer la compagnie." Poutine a ensuite ajouté pour se dispenser de commentaires plus approfondis : "N'importe quelle parole est susceptible d'être interprétée aussi bien par ceux qui sont en ce moment les concurrents de Ioukos sur le marché que par ceux qui veulent le soutenir et par la compagnie elle-même"
Les paroles du président ont en tout cas bien été interprétées par les spéculateurs car les actions de la compagnie se sont immédiatement envolées, gagnant en tout plus de 30%, au point que leur cotation a dû être momentanément interrompue.