Le nouveau procès Fouquet ?
Le Surintendant des Finances de Louis XIV, on s'en souvient, avait été accusé par le jeune roi Soleil de confondre la caisse de l'État avec sa propre poche et condamné à la prison à vie. Selon certains – romanciers plus qu'historiens – ce serait lui le prisonnier au masque de fer. Or les malversations sur les impôts qui lui furent reprochées avaient été mises an place avec la bénédiction du prédécesseur de Louis XIV dans le but de couvrir les dépenses militaires. Le "facteur personnel" – comme on ne disait pas encore à l'époque – avait également joué un rôle important puisque l'on attribue la décision d'arrêter Fouquet à l'envie de Louis XIV devant la munificence du palais de Vaux-le-Vicomte et les fêtes somptueuses qui y étaient données.
Un parallèle obsédant s'impose à mon esprit depuis un petit moment. Depuis le moment, en fait, où j'ai découvert – petit scoop dont je suis assez fière :-) – un épisode pas très connu de cette affaire.
En 90 la compagnie Ioukos a privatisé l'un des immenses sanatoriums de Crimée ( "Rous' ", c'est-à-dire "Ancienne Russie" ) jadis réservé aux cadres du parti. Comme il était en fort mauvais état, Ioukos a rénové ce bâtiment et s'en servait pour accorder des congés aux travailleurs de la compagnie, qui affrontent toute l'année de dures conditions de vie sur les plates formes de forage sibériennes, pour différentes réunions liés au management de la compagnie ainsi que pour les rassemblements annuels de la «Fédération de l'enseignement par Internet» - un des nombreux projets que finance Ioukos dans le domaine éducatif. Plus évidemment quelques appartements VIP pour la direction, cela va de soi ;-).
Or a l'automne 2001, M.Khodorkovsky a eu la mauvaise idée d'inviter là le président et son épouse, de voyage dans la région. Le lieu a beaucoup plu à Ludmila Poutina, qui s'est aussitôt mise a persuader son présidentiel époux que le sanatorium était beaucoup trop beau pour appartenir à une compagnie privée, qu'il devait revenir à la Direction des affaires présidentielles (Upravlenie delami presidentstva), et servir uniquement (pour ce qui est de sa partie VIP) au repos du couple présidentiel. D'où une longue bataille judiciaire sur la base de soi disantes irrégularités dans l'opération de privatisation, qui a abouti en août 2003 à la confiscation du sanatorium.
Mais certains, à vrai dire, préfèrent comparer Khodorkovski à un autre héros de Dumas que le Masque de fer. Ils l'ont surnommé "Le Comte de Monte-Christo" !
Un "directeur rouge" ?
C'est un paradoxe – il me semble que ce capitaliste n°1 de Russie qu'est Mikhaïl Khodorkovski est resté finalement assez proche des méthodes et des conceptions des "directeurs rouges" de la période soviétique. En effet, si l'on regarde de près, son immense fortune personnelle est presque uniquement composée des actions de la compagnie. En revanche, malgré toutes ses recherches, le Parquet Général n'a pas réussi à découvrir une seule propriété, villa à Saint-Trop, chalet à Courchevel, hôtel particulier à Londres ou ailleurs, yacht ou jet privé appartenant personnellement à Khodorkovski. C'est une différence de taille avec ses collègues oligarques. Il semble que même la datcha - d'un luxe somme toute modéré - dans laquelle réside sa famille ne lui appartienne pas en propre. Peut-être, évidemment, est-ce un moyen de payer moins d'impôts. Peut-être, ce n'est pas exclu, est-ce un reliquat de pensée soviétique où, comme disait une blague de l'époque, les "pauvres" apparatchiks ne possédaient rien, la datcha, la voiture, tout était "à l'État". Mais peut-être est-ce tout de même aussi un certain ascétisme, doublé de mépris pour le luxe ostentatoire des "nouveaux russes", de la part de quelqu'un d'origine modeste et plus intéressé par la façon de faire de l'argent que par celle de le dépenser…