Le 16 juin a eu lieu la première séance du procès commun de Mikhaïl Khodorkovski, Platon Lebedev et Andreï Kraïnov. La séance a été brève et le procès a été reporté en raison de l'absence de l'avocat de Khodorkovski, Genrikh Padva, opéré d'un œil un ou deux jours avant. Au cours de la séance ont été rejetées les demandes de mise en liberté déposées par Khodorkovski et Lebedev. Pour la défense en effet, les deux hommes sont détenus illégalement car leur maintien en détention a été renouvelé implicitement, sans faire l'objet d'une décision de justice.
Le procès a été une aubaine surtout pour les photographes et caméramen, autorisés à entrer dans la salle d'audience durant les interruptions de séance. C'était en effet la première fois qu'ils avaient tout loisir de prendre des images des deux actionnaires de IOUKOS depuis leur arrestation.
D'après ces photos et les témoignages des rares journalistes ayant réussi à se faufiler dans la salle d'audience, Platon Lebedev avait l'air vieilli et très fatigué. Assis très droit, il semblait n'accorder aucune attention aux journalistes et ne parlait qu'à son compagnon d'infortune. Mikhaïl Khodorkovski semblait en meilleure forme, souriait et plaisantait de temps en temps avec les journalistes.
Ces
photographies produisent sur le spectateur occidental une profonde impression de malaise. Dans la salle d'audience, les deux hommes sont en effet assis sur un banc placé dans une véritable cage métallique, à peine assez grande pour eux deux. Tout est fait pour rappeler aux prévenus – potentiellement innocents, tout de même, jusqu'au verdict final – leur condition de criminels, pour les humilier physiquement et moralement. Les premières images de ce genre - comme celle qui sert d'illustration à la présente page – sont apparues, on s'en souvient, dès le mois de novembre. A l'époque l'image prise dans les locaux de la prison était montrée sur un écran de télévision dans le tribunal Basmannyj. Comme la prise de vue se faisait à l'intérieur de la prison, la présence de barreaux au premier plan n'avait aucune nécessité fonctionnelle – c'était une pure mise en scène destinée à bien souligner : nous le tenons, cet abominable capitaliste! Il ne nous échappera pas, cet ennemi du peuple! Voilà à quoi il est réduit, l'homme le plus riche de Russie!
Et sans doute dans un premier temps ces images n'étaient pas sans inspirer au spectateur (et électeur) russe une joie mauvaise. Mais presque six mois ont passé et la répétition de ces images semble avoir aujourd'hui un effet inverse. Dans la conscience populaire, le nom de Mikhaïl Khodorkovski évoque de moins en moins le PDG sûr de lui et arrogant de la plus grande compagnie russe, et de plus en plus le prisonnier souriant et modeste que l'on traîne menottes au mains à des audiences dont le résultat est joué d'avance.
D'après un récent sondage effectué par l'institut Levada, 40% des interviewés pensent que Mikhaïl Khodorkovski est inculpé parce que IOUKOS était réellement en infraction avec la loi, 34% voient dans son arrestation une vengeance politique, les autres ne savent pas. Par rapport aux réponses données aux mêmes questions en novembre, l'évolution est tout à fait révélatrice de l'évolution de l'opinion publique russe.