La juge Natalia Tchebourashkina a été dessaisie du dossier IOUKOS à la demande du Ministère des Impôts et Recettes. Tchebourashkina était la seule juge à avoir accepté de satisfaire une des demandes de la défense.
Une mise en demeure anticipée
L'histoire – fort compliquée – remonte au 14 avril dernier.
Le 14 avril en effet, le Ministère des Impôts et recettes avait mis en demeure la compagnie IOUKOS de verser à l'État près de 100 milliards de roubles (99,375 très exactement), somme qui correspond selon le ministère au montant des impayés d'impôts pour l'année 2000, augmentée des intérêts et des amendes, et l'a assignée en justice. La compagnie avait répondu en portant plainte à son tour, estimant illégales les exigences du Ministère.
Le 16 avril, par mesure de précaution en attendant le verdict sur le fond de l'affaire opposant le fisc russe à IOUKOS, la Cour d'Arbitrage de Moscou avait mis "sous séquestre" l'ensemble des actifs de la compagnie, interdisant de vendre, aliéner ou hypothéquer toute partie de ses actifs à l'exception des opérations de production courante, et interdisant également toutes les opérations sur les actions possédées par la compagnie. Cette décision, notons le, en interdisant à la compagnie de réaliser une partie de ses actifs afin d'obtenir les liquidités nécessaires au remboursement de sa "dette", la mettait tout simplement hors d'état de satisfaire les exigences du Ministère.
Le 19 mai, à la demande de IOUKOS, la Cour d'Arbitrage en la personne de la juge Natalia Tchebourashkina avait suspendu la mise en demeure adressée à la compagnie par le Ministère. Tchebourashkina avait en effet estimé que cette mise en demeure ne pouvait pas intervenir AVANT que la justice n'ait rendu son verdict sur le fond de l'affaire, c'est-à-dire sur la légitimité des exigences du Ministère. Et cela dans les deux procès – celui initié par le Ministère et celui initié par la compagnie.
Il s'agissait d'une décision importante pour la compagnie, car la mise en demeure de paiement pouvait entraîner la faillite immédiate ou la saisie de la compagnie, incapable d'y faire face.
Le 1er juin, après que la Cour d'Arbitrage (juge Greshishkine) ait rendu un verdict favorable au Ministère sur le fond de l'affaire, la même Cour d'Arbitrage (avec la juge Tchebourashkina cette fois) a maintenu sa décision du 19,rejetant ainsi la requête déposée par le Ministère des Impôts et Recettes, et motivant son verdict par le fait que le verdict dans le deuxième procès (celui initié par IOUKOS) n'avait pas encore été prononcé, et que de toute façon les parties auraient encore ensuite la possibilité de faire appel.
A la suite de cela, le Ministère a récusé la juge Tchébourashkina, en mettant en cause son objectivité.
Une séance édifiante
Le journal "Gazeta" donne une
description précise de la façon dont ce renvoi a été décidé. La décision revenait au premier vice-président de la Cour d'Arbitrage Nikolaï Logunov. Les représentants du Ministère de Impôts et Recettes ont commencé à exposer les arguments justifiant, pour eux, le renvoi de la juge Tchebourashkina. Aucun ne résistait à la critique argumentée faite par Logunov et certains témoignaient même d'une ignorance coupable de la législation. Cependant, à la fin du discours du représentant du Ministère, le téléphone a retenti sur le bureau du vice-président Logunov. Il a pris la communication, à la suite de quoi il s'est isolé pendant deux heures (!) pour prendre sa décision. A son retour, signale le journal, le juge était pâle et, sans regarder personne, a lu sa décision de récuser Tchébourashkina, reprenant mot-à-mot les arguments des représentants du Ministère – dont il avait prouvé l'inconsistance à peine deux heures auparavant.