En détention provisoire depuis vingt et un mois, Vassili Alexanian, ex-vice-président de la compagnie pétrolière russe Ioukos, est en train de mourir à petit feu d'une grave maladie, faute de soins. Cet ancien avocat est devenu aveugle, souffre du foie et a contracté la tuberculose pendant son séjour en prison.
Malgré les demandes de la Cour européenne des droits de l'homme de Strasbourg, qui a enjoint par trois fois aux autorités russes de le transférer dans un hôpital civil spécialisé, M. Alexanian continue d'être soigné à l'hôpital du centre de détention provisoire de Matrosskaïa Tichina à Moscou.
Le refus de la Russie de transférer le prévenu est une violation de la Convention européenne des droits de l'homme (articles 2 et 3) signée par ce pays. Aux yeux de la justice russe, l'ancien numéro deux de Ioukos, inculpé de vol d'actions et d'évasion fiscale, est apte à comparaître. Alors que l'enquête vient tout juste d'être close, Vassili Alexanian est contraint d'écouter, assis sur un tabouret six heures par jour, la lecture de son dossier d'accusation - 115 volumes - par un enquêteur.
Mercredi 16 janvier, lors d'une audience devant la Cour suprême durant laquelle ses avocats contestaient son maintien en détention, le procureur Vladimir Khomoutovski a déclaré publiquement que le prévenu souffrait du sida. "Le procureur a révélé publiquement la maladie de mon client, il l'a fait exprès pour donner de lui une image négative", a dénoncé l'avocate Elena Lvova.
Dans une lettre ouverte, Vassili Alexanian estime que "les procureurs, les juges et les médecins de la prison" portent consciemment atteinte à son état de santé. "Depuis deux ans, je suis incité à faire de faux témoignages sur d'autres dirigeants de Ioukos en échange de ma remise en liberté conditionnelle, c'est-à-dire en échange de ma vie", écrit cet ancien diplômé de Harvard, père d'un petit garçon de 6 ans.
ACHARNEMENT JUDICIAIRE
Les autorités russes affirment que M. Alexanian est responsable de la dégradation de son état de santé parce qu'il refuse le traitement qui lui est proposé en prison. Selon maître Lvova, la vie de son client est menacée.
Son cas n'est pas isolé. Chaque année, des centaines de prévenus meurent lors de leur détention provisoire faute de soins.
Le sort de M. Alexanian est rarement évoqué par les médias russes. Il subit le même acharnement que son ancien patron de Ioukos, Mikhaïl Khodorkovski, qui purge une peine de huit ans en Sibérie pour fraude et évasion fiscale et attend un deuxième procès, pour blanchiment d'argent. Il risque 22 ans de prison.
Après son arrestation, en 2003, le groupe Ioukos, contraint de payer à l'Etat russe des dizaines de milliards de dollars d'arriérés d'impôts, a été mis en faillite. Ses actifs ont été vendus au groupe public Rosneft, dirigé par Igor Setchine, numéro deux de l'administration présidentielle et proche du président Poutine. Rosneft est devenu le numéro un du pétrole russe.
Marie Jégo
Article paru dans l'édition du 20.01.08.
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