26.10.04
Un an jour pour jour après l'arrestation du milliardaire russe Mikhaïl Khodorkovski, ses avocats et des défenseurs des droits de l'homme ont dénoncé une nouvelle fois les "nombreuses violations" de la loi dans le procès de l'ex-patron du groupe pétrolier Ioukos, qu'ils considèrent comme "politique".
"De nombreuses violations commises par les forces de l'ordre et la justice à tous les stades du procès nous obligent à douter de l'objectivité des autorités à l'égard de notre client", ont déclaré, lundi 25 octobre, les avocats de M.Khodorkovski, dans un message destiné à dresser "un bilan préliminaire" du procès.
M. Khodorkovski, arrêté le 25 octobre 2003 par les services spéciaux russes et immédiatement inculpé, est accusé de fraude fiscale et d'escroquerie à grande échelle et risque plus de dix ans de prison. Et plaide non coupable, dénonçant le mépris de la légalité.
"L'affaire Khodorkovski est une vengeance contre l'opposition politique, à laquelle s'ajoute le désir de piller" une riche compagnie pétrolière, a estimé l'un des avocats, Iouri Chmidt, cité par l'hebdomadaire Ejenedelny Journal. "J'ai l'impression que ceux qui se trouvent là-haut (au pouvoir) ne savent pas eux-mêmes que faire avec Khodorkovski. Ils ont mis en marche la machine, mais ne savent pas comment achever ce procès", a-t-il dit.
Certains défenseurs des droits de l'homme s'attendent au pire scénario. "On peut prévoir que Khodorkovski et son associé Platon Lebedev seront condamnés à des peines maximales", a estimé Lev Ponomarev du mouvement Pour les droits de l'homme.
Les audiences se sont poursuivies lundi avec l'interrogatoire d'un témoin de l'accusation, mais l'intérêt de la presse et de l'opinion publique russes pour ce procès qui traîne en longueur depuis plusieurs mois est restreint. Cinq journalistes seulement étaient présents au tribunal, alors qu'aux premières audiences ils étaient dix fois plus nombreux et faisaient la queue pour pouvoir assister au procès qui se déroule dans la petite salle d'un tribunal de district, à Moscou.
Une dizaine de personnes, militants d'une petite ONG, Sovest (conscience), créée pour soutenir M. Khodorkovski, ont manifesté devant le tribunal, dressant des pancartes : "Liberté aux prisonniers politiques", devant les regards indifférents des passants.
"L'HOMME À ABATTRE POUR L'EXEMPLE"
Mikhaïl Khodorkovski était considéré comme le plus doué et le plus éclairé des oligarques russes : il s'est attiré les foudres du Kremlin en voulant trop d'indépendance dans un secteur stratégique et en tenant tête à Vladimir Poutine.
Le chef du Parti communiste, Guennadi Ziouganov, l'a défendu, lui, l'homme le plus riche de Russie dont la fortune personnelle était estimée au début 2004 à plus de 15 milliards de dollars (11,7 milliards d'euros). Ses collègues du grand patronat, après de molles protestations, ont pour leur part courbé l'échine et fait allégeance au Kremlin.
Tout indique qu'outre la mise au pas de Ioukos "pour l'exemple", voire pour une redistribution des actifs pétroliers au profit des nouveaux clans au pouvoir, Khodorkovski était devenu l'"homme à abattre".
En plus d'avoir envisagé un mariage entre Ioukos et la major américaine ExxonMobil, il avait ouvert ses vastes possibilités financières à l'opposition libérale, injectait des millions de dollars dans des programmes de soutien à la société civile, et revendiquait le droit et le devoir du grand capital de s'impliquer dans la vie politique du pays.
"Nous sommes face à un choix réel, entre l'autoritarisme et la société civile. Et nos forces sont plus ou moins égales", disait-il encore à l'automne 2003.
Mikhaïl "ne regrette pas de ne pas avoir quitté le pays. Il savait parfaitement ce qui l'attendait" après l'arrestation de son associé Platon Lebedev en juillet 2003, a dit sa mère, Marina Khodorkovskaïa, à l'ouverture de son procès en mai dernier.
"Surdoué", "charmeur", "ambitieux", "impitoyable" : ses adversaires et ses partisans lui prêtaient, jadis, les mêmes traits de caractère. Les uns lui reprochent d'avoir mangé au "râtelier" de tous les oligarques, en bénéficiant pendant la dernière décennie de privatisations controversées, monnayées contre un soutien actif au pouvoir du président d'alors, Boris Eltsine.
D'autres lui accordent d'avoir fait de Ioukos, acheté pour une bouchée de pain (350 millions de dollars, 273,5 millions d'euros) en 1995 et dont il détiendrait 36 % en propre, la "meilleure compagnie du pays", dont la valeur boursière a été multipliée par 120 entre 1998 et 2003. D'avoir également compris le premier la nécessité d'y appliquer la transparence, à l'encontre du climat d'opacité générale qui persiste dans l'économie russe. Et d'avoir investi des millions dans des infrastructures sociales au nom de la "responsabilité" des entreprises.
Quadragénaire (41 ans) à l'élégance discrète, Mikhaïl Khodorkovski n'a ni le côté flamboyant du milliardaire Roman Abramovitch avec ses yachts et son club de football anglais, ni la réputation d'intrigant machiavélique de Boris Berezovski, exilé à Londres depuis 2000.
Parents ingénieurs, enfance ordinaire dans la capitale russe, il est diplômé de l'institut chimique de Moscou et du prestigieux institut d'études économiques Plekhanov sous Gorbatchev. Avec la perestroïka, l'ancien cadre des Jeunesses communistes (Komsomol) et membre du PCUS - deux passages obligés pour qui avait de grandes ambitions au pays des soviets - gagne rapidement quelques millions de dollars dans des commerces divers.
En 1990, il fonde la banque Menatep, qui laissera en plan ses créditeurs étrangers lors de la crise financière de 1998, et deviendra par la suite une holding coiffant des dizaines de sociétés dont le numéro un du pétrole russe. Ioukos, acculé par le fisc et la justice, est maintenant promis au démantèlement.
(Lu dans Le Monde, 25.10.2005)
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Petit rectificatif de l'ONG Sovest - ils étaient 25. Et les passants n'étaient pas "indifférents".
Ah, ces journalistes...
Derniers développements
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L'arrestation du PDG de la compagnie pétrolière russe
YUKOS Mikhail Khodorkovsky marque un tournant important dans l'histoire
de la Russie contemporaine. Incarcéré le 25 octobre 2003,
il a été condamné à l'issue d'un
procès inquisitorial à huit ans de camp de travail.
M. Khodorkovsky durant son procès
Son directeur financier, Platon Lebedev, a reçu la même peine.
La dureté de ce traitement, disproportionnée par rapport aux faits qui leur sont
reprochés, laisse supposer des motifs politiques dans l'affaire
YUKOS : Mikhail Khodorkovsky est en effet connu pour ses convictions
libérales et pour le soutien financier qu'il a apporté
aux partis d'opposition lors des dernières élections. Parallèlement, la
compagnie YUKOS dont il était également le principal
actionnaire a été soumise à des redressements
fiscaux successifs toujours plus exorbitants, qui ont servi de
prétexte à confiscation de la plupart des actifs de
la société. Pour tenter de pallier un
certain déficit d'information en langue française, je me
propose de donner - dans la mesure de mon temps disponible - une
couverture au jour le jour de ce qui est perçu en Russie comme
"le procès du siècle".
L'Observatrice
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