13.12.04
Moscou de notre correspondante Lorraine Millot
Les démocrates et autres opposants russes au régime autoritaire de Vladimir Poutine ont tout de même réussi à remplir, hier, une salle de 1 000 places, pour leur premier congrès intitulé : «La Russie pour la démocratie, contre la dictature.» Quelques-uns étaient venus en pull ou écharpe orange, en clin d'oeil à la révolution ukrainienne. «Ce qui se passe en Ukraine me rappelle le printemps de Prague en 1968, expliquait ainsi le réalisateur Gregory Amnouel. A l'époque, là-bas, on se battait aussi pour nos libertés. L'Ukraine, c'est peut-être enfin une chance de faire comprendre en Russie que la liberté, ce n'est pas seulement la liberté de se remplir les poches. C'est une dernière chance pour nous d'unir nos forces : sinon, nous allons revivre ce qui s'est passé en Allemagne en 1933 : un pouvoir arrivé de façon légale, qui se débarrasse ensuite des démocrates.»
Remobilisation. Terrassés par les législatives biaisées de décembre dernier, où aucun des partis libéraux ou démocrates n'a pu franchir le seuil de 5 % des suffrages, les opposants à Poutine tentent un sursaut : ce congrès, qui a réuni hier une ribambelle de partis, associations et personnalités diverses (le parti démocratique Iabloko, l'union des forces de droite SPS, le Comité des mères de soldats, le Parti communiste...), se veut le coup d'envoi d'un processus de remobilisation, pour présenter une alternative sérieuse à Poutine, ou à son héritier, à la présidentielle de 2008. Le fait même que les communistes aient été invités à se joindre à leurs ennemis de toujours, libéraux et démocrates, est bien le signe de la gravité de la situation. Si rien n'est entrepris, «en 2008, nous assisterons au passage de Poutine au fascisme, a mis en garde hier à la tribune Boris Nemtsov, un des dirigeants de l'Union des forces de droite. Face à une telle menace, nos différends n'ont guère d'importance.»
Le champion d'échec Garry Kasparov, très engagé dans ces tentatives d'union des démocrates russes dans la perspective de 2008, s'est révélé à ce congrès comme un orateur prometteur : «Le seul dialogue mené par le pouvoir et l'opposition aujourd'hui, c'est le dialogue avec Khodorkovski [l'ancien patron de Ioukos, qui continue à critiquer Poutine du fond de sa prison, ndlr], a-t-il déploré. Mais si nous sommes des centaines de milliers dans la rue, nous forcerons le pouvoir à un vrai dialogue.» Georgi Satarov, président de la fondation politique Indem, fait le même constat : «Le pouvoir n'a pas peur de nos cris, ni de nos critiques. Il a peur d'un scénario ukrainien : que nous descendions, tous ensemble dans la rue. Nous sommes une très grande force... si nous surmontons nos divisions.»
Désinformation. Les délégués, venus de toute la Russie, sont repartis hier soir vers leurs provinces et leurs misères quotidiennes : les descentes de l'inspection fiscale pour des prétextes ineptes, les expulsions faute d'argent pour payer loyers et bakchichs, les assassinats parfois des esprits trop critiques, et le rouleau compresseur de la désinformation, qui a à peine rendu compte de ce congrès.
( Libération, 13.12.2004)
Derniers développements
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L'arrestation du PDG de la compagnie pétrolière russe
YUKOS Mikhail Khodorkovsky marque un tournant important dans l'histoire
de la Russie contemporaine. Incarcéré le 25 octobre 2003,
il a été condamné à l'issue d'un
procès inquisitorial à huit ans de camp de travail.
M. Khodorkovsky durant son procès
Son directeur financier, Platon Lebedev, a reçu la même peine.
La dureté de ce traitement, disproportionnée par rapport aux faits qui leur sont
reprochés, laisse supposer des motifs politiques dans l'affaire
YUKOS : Mikhail Khodorkovsky est en effet connu pour ses convictions
libérales et pour le soutien financier qu'il a apporté
aux partis d'opposition lors des dernières élections. Parallèlement, la
compagnie YUKOS dont il était également le principal
actionnaire a été soumise à des redressements
fiscaux successifs toujours plus exorbitants, qui ont servi de
prétexte à confiscation de la plupart des actifs de
la société. Pour tenter de pallier un
certain déficit d'information en langue française, je me
propose de donner - dans la mesure de mon temps disponible - une
couverture au jour le jour de ce qui est perçu en Russie comme
"le procès du siècle".
L'Observatrice
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