27.11.04
Londres de notre correspondant
"Je ne vais pas sacrifier ma vie pour des raisons de politique russe." C'est en ces termes que le directeur financier de Ioukos, Bruce Misamore, a confirmé l'exil à Londres de l'ensemble de l'état-major du premier producteur russe de pétrole.
A l'écouter, la récente vague de perquisitions ordonnée par la justice russe dans les bureaux et au domicile de dirigeants a poussé ces derniers à trouver refuge dans la City.
UN COURS PROCHE DE 1 DOLLAR
Menacée de démantèlement et exsangue sur le plan financier en raison du gel de ses comptes, la "major" russe des hydrocarbures est désormais paralysée. La fuite de l'ensemble des membres du conseil de gestion, révélée par le Financial Timesjeudi 25 novembre, a fait plonger l'action de 17 %, à 1,12 dollar. Depuis le début de la semaine, sa valeur a été divisée par deux. Le titre, qui valait 16 dollars il y a encore un an, avait déjà fortement chuté après l'annonce, le 12 octobre, de la prochaine vente aux enchères de Iougansneftegaz, principale filiale de production, avec un prix de départ jugé ridiculement sous-évalué.
Depuis l'arrestation, il y a un an, de son fondateur et ancien PDG, Mikhaïl Khodorkovski, la capitalisation boursière de Ioukos a été divisée par six. Le harcèlement dont sont victimes le directeur général Steven Theede et le directeur financier Bruce Misamore, tous deux américains, souligne la détermination du président russe Vladimir Poutine à faire liquider le groupe et à reprendre en main le secteur énergétique.
A Londres, la marge de manœuvre de la direction de Ioukos est réduite. La menace de cessation de la production n'agite guère les professionnels de l'International Petroleum Exchange. A les écouter, le Kremlin a les moyens de maintenir Ioukos en activité pour approvisionner de gros clients comme la Chine. M. Misamore avait précédemment évoqué le scénario de faillite pure et simple qui pourrait être prononcée lors de l'assemblée générale extraordinaire convoquée le 20 décembre (Le Monde du 29 octobre). Mais, en Russie, une procédure de banqueroute doit être approuvée par la justice - qui, vraisemblablement, la rejettera.
PLAINTE CONTRE LES AUTORITÉS RUSSES
Chez les actionnaires, en revanche, c'est le branle-bas de combat. La holding Menatep, par le biais de laquelle Khodorkovski et ses associés contrôlent 61 % de Ioukos, a porté plainte contre les autorités russes pour expropriation. Le plaignant invoque la charte énergétique, dont l'objet est de protéger les investissements étrangers dans le secteur énergétique des anciens pays de l'Est. L'action est menée par le truchement de deux filiales basées à Chypre, Hulley et Ioukos International. Faute d'accord à l'amiable, une juridiction d'arbitrage londonienne pourrait être saisie. Il est peu probable, en revanche, que les principaux actionnaires vendent leurs parts, comme l'a suggéré le président russe du conseil d'administration de Ioukos, Viktor Gueratchenko. 25 % du capital est détenu par des étrangers, en particulier des fonds de pension américains et scandinaves, qui pourraient également se défendre par des moyens légaux. Les dirigeants de Ioukos pourraient aussi être la cible de procès de petits porteurs aux Etats-Unis pour avoir passé sous silence le risque que représentaient les activités politiques de M. Khodorkovski.
DES ACQUÉREURS POTENTIELS
En attendant la cession au plus offrant, le 19 décembre, du principal actif du groupe, les spéculations vont bon train, à la City, sur les acquéreurs potentiels de Iouganskneftegaz. L'allemand EON, l'italien ENI, le chinois CNPC et l'anglo-néerlandais Shell ont publiquement admis leur intérêt. Mais ils hésiteront à se porter candidat par crainte des menaces de poursuites judiciaires brandies par la Menatep.
Côté russe, Lukoïl préfère se diversifier à l'international, comme l'atteste la prise de participation de 7,59 % de son capital par l'américain ConocoPhillips. La coentreprise russo-britannique TNK-BP cherche à consolider son assise. Le géant gazier Gazprom, en cours de fusion avec le pétrolier d'Etat Rosneft, paraît le mieux placé. Mais ce nouveau mastodonte contrôlé par les pouvoirs publics est lourdement endetté. D'où la possibilité d'un partenariat entre Gazprom et Sourgoutneftegaz, proche du Kremlin, dont certains champs pétroliers sont voisins de ceux de Iouganskneftegaz.
Marc Roche
(Lu dans Le Monde le 27.11.2004)
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Mikhaïl Khodorkovski est un de ceux qui sont responsables de ce que Paul Klebnikov appelle le " pillage de la Russie ". La politique des oligarques n'avait qu'une seule conséquence, en dehors de leur enrichissement personnel : la destruction économique du pays, le pillage de ses ressources naturelles, et une baisse effroyable du niveau de vie Loin de moi l'idée que Poutine est sincère dans sa lutte contre les oligarques criminels mais le sort me réjouit plutôt et j'espère que les responsables des privatisations criminelles suivront. Paul Klebnikov, journaliste à la revue états-unienne Forbes en a consacré un ouvrage paru en 2000. Il s'intitule : Parrain du Kremlin - Boris Berezovski et le pillage de la Russie, Robert Laffont, 2001.
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8:27 PM
Derniers développements
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L'arrestation du PDG de la compagnie pétrolière russe
YUKOS Mikhail Khodorkovsky marque un tournant important dans l'histoire
de la Russie contemporaine. Incarcéré le 25 octobre 2003,
il a été condamné à l'issue d'un
procès inquisitorial à huit ans de camp de travail.
M. Khodorkovsky durant son procès
Son directeur financier, Platon Lebedev, a reçu la même peine.
La dureté de ce traitement, disproportionnée par rapport aux faits qui leur sont
reprochés, laisse supposer des motifs politiques dans l'affaire
YUKOS : Mikhail Khodorkovsky est en effet connu pour ses convictions
libérales et pour le soutien financier qu'il a apporté
aux partis d'opposition lors des dernières élections. Parallèlement, la
compagnie YUKOS dont il était également le principal
actionnaire a été soumise à des redressements
fiscaux successifs toujours plus exorbitants, qui ont servi de
prétexte à confiscation de la plupart des actifs de
la société. Pour tenter de pallier un
certain déficit d'information en langue française, je me
propose de donner - dans la mesure de mon temps disponible - une
couverture au jour le jour de ce qui est perçu en Russie comme
"le procès du siècle".
L'Observatrice
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