21.11.04
Le prix de départ fixé pour la vente de Iouganskneftegaz est très inférieur à l'estimation bancaire initiale commandée par le Kremlin. Encore un coup porté à l'empire de M. Khodorkovski.
Moscou de notre correspondante
Le Fonds fédéral russe des biens d'Etat a annoncé, vendredi 19 novembre, la mise aux enchères de 76,8 % des actions de Iouganskneftegaz, la principale filiale du groupe pétrolier Ioukos, engagé depuis seize mois dans une bataille judiciaire avec les autorités fiscales russes.
Le prix de départ fixé pour cette vente prévue le 19 décembre (8,65 milliards de dollars) est nettement inférieur à l'évaluation qui avait été faite, à la demande du Kremlin, par la banque d'affaires Dresdner Kleinwort Wasserstein. Celle-ci avait conseillé les autorités russes de fixer la mise à prix dans une fourchette de 14 à 17 milliards de dollars. L'action de Ioukos a été suspendue vendredi, à la Bourse de Moscou, après avoir plongé d'environ 30 %.
Les analystes estiment que cette accélération des événements, dans la "saga" Ioukos, ainsi que les incertitudes autour de l'achat de Iouganskneftegaz, rendent improbable la reprise de cette filiale, qui produit 60 % du brut de Ioukos, par un investisseur étranger. La vente aux enchères vise à couvrir la dette fiscale du groupe. Le fisc russe a parallèlement alourdi, vendredi, les arriérés d'impôts du groupe, les augmentant de 5,9 milliards de dollars, au titre de l'année 2003. Cela porte le montant total des obligations fiscales de Ioukos à 24,5 milliards de dollars. Un nouveau membre de la direction de Ioukos, Alexeï Kourstine, a en outre été arrêté à Moscou, vendredi, pour malversations.
PROCESSUS D'"EXPROPRIATION"
Mikhaïl Khodorkovski, l'ancien patron de Ioukos, en prison depuis octobre 2003, et dont le procès pour évasion fiscale se poursuit à Moscou, a appelé les actionnaires minoritaires du groupe à lutter contre son démantèlement. Ceux-ci détiennent environ 25 % du capital. Les experts s'attendent à une multiplication des actions en justice contre les autorités russes devant des tribunaux étrangers, pour protester contre ce que des détenteurs d'actions de Ioukos considèrent comme une spoliation.
Le président de Ioukos, l'Américain Steven Theede, a dénoncé vendredi, dans un communiqué, un processus d'"expropriation illégale". "Iouganskneftegaz est le cœur de Ioukos, et sa vente mènera à la destruction de la compagnie pétrolière russe la plus efficace", dit-il. De nombreux actifs et comptes bancaires de Ioukos ont été gelés par les autorités russes.
Selon l'analyste de la banque Alfa, Chris Weafer, les dernières mesures prises contre Ioukos "ouvrent la voie à la destruction rapide et totale du groupe". Mais il souligne que des divergences sont apparues, au sein du pouvoir russe sur ce dossier, marqué par un "emballement de certains fonctionnaires". Vladimir Poutine pourrait encore, selon lui, faire en sorte qu'une partie de la société pétrolière subsiste, "après confiscation de Iouganskneftegaz et des actifs de Menatep", le holding basé à Gibraltar créé par Mikhaïl Khodorkovski et ses associés. Le Kremlin chercherait à exercer suffisamment de pression sur les actionnaires de Menatep pour les contraindre à céder leurs parts à l'Etat. Le délai fixé serait la mi-décembre.
Les dirigeants de Ioukos, qui est le plus gros exportateur russe de pétrole, ont annoncé la convocation, pour le 20 décembre, d'une assemblée générale des actionnaires, appelés à se prononcer sur une éventuelle mise en faillite du groupe. Un scénario auquel Vladimir Poutine s'est, à plusieurs reprises, déclaré opposé.
L'offensive contre Ioukos s'inscrit dans la politique de mise au pas des "oligarques" menée par le Kremlin, et dans une stratégie consistant à rétablir un contrôle étatique sur le secteur pétrolier. Mais des voix commencent à s'élever, notamment du côté du conseiller économique du Kremlin, Andreï Illarionov, pour mettre en garde contre les répercussions sur le climat des investissements.
La fuite des capitaux a repris. Selon les statistiques officielles, 10,9 milliards de dollars ont quitté le pays au cours des neuf premiers mois de 2004, contre 3,8 milliards sur la même période en 2003. L'ancien ministre de l'économie Evgueni Iassine parle désormais d'un risque de "stagnation" de l'économie russe, faisant remarquer que la production industrielle a enregistré un ralentissement ces derniers mois.
Natalie Nougayrède
Lu dans Le Monde, 21.11.2004
Derniers développements
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L'arrestation du PDG de la compagnie pétrolière russe
YUKOS Mikhail Khodorkovsky marque un tournant important dans l'histoire
de la Russie contemporaine. Incarcéré le 25 octobre 2003,
il a été condamné à l'issue d'un
procès inquisitorial à huit ans de camp de travail.
M. Khodorkovsky durant son procès
Son directeur financier, Platon Lebedev, a reçu la même peine.
La dureté de ce traitement, disproportionnée par rapport aux faits qui leur sont
reprochés, laisse supposer des motifs politiques dans l'affaire
YUKOS : Mikhail Khodorkovsky est en effet connu pour ses convictions
libérales et pour le soutien financier qu'il a apporté
aux partis d'opposition lors des dernières élections. Parallèlement, la
compagnie YUKOS dont il était également le principal
actionnaire a été soumise à des redressements
fiscaux successifs toujours plus exorbitants, qui ont servi de
prétexte à confiscation de la plupart des actifs de
la société. Pour tenter de pallier un
certain déficit d'information en langue française, je me
propose de donner - dans la mesure de mon temps disponible - une
couverture au jour le jour de ce qui est perçu en Russie comme
"le procès du siècle".
L'Observatrice
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