31.1.04
Le conseiller économique du Kremlin, le libéral Andreï Illarionov, qui a multiplié dernièrement les critiques sur la politique de Moscou en Ukraine et dans l'affaire Ioukos notamment, a mis en garde jeudi contre la tendance autocratique qui domine, selon lui, au sommet de l'Etat russe.
Laissant entendre que non seulement lui, mais d'autres personnalités libérales n'avaient plus l'oreille du président Vladimir Poutine, M. Illarionov, conseiller économique du Kremlin, qui s'exprimait sur la radio indépendante Echo de Moscou, a souligné qu'il était "dangereux que quelqu'un dans le pays cesse d'écouter les conseils".
"Le succès du pays n'est pas dans le fait qu'il a [à sa tête] la personne la plus intelligente, qui répond de tout et a le droit de n'écouter personne. L'intelligence des leaders est de ne pas cesser de voir et d'entendre ce qui se passe dans le pays, [et] la moindre limitation des retours d'information est mortellement dangereuse pour la vie du pays", a-t-il dit.
"Il est extrêmement dangereux que les personnes chargées de l'Etat se retirent dans le secret absolu, et que la société ne sache pas ce qu'elles font", a-t-il ajouté, soulignant que ce problème touchait à un "élément inaliénable de la démocratie".
"Des tendances de notre vie politique comme la liquidation d'un certain nombre d'institutions servant de courroie de transmission, et qui pourraient retransmettre les signaux de détresse de la société, mènent à des conséquences catastrophiques pour le pays", a encore dit le conseiller.
UNE RÉVOLUTION EN RUSSIE ?
"Les problèmes ne se règlent pas, ils s'accumulent et se concentrent au centre du système politique, et l'issue de telles crises réside dans des révolutions, puisqu'il ne reste pas de voies normales, traditionnelles de règlement", selon M. Illarionov.
En ce sens, a-t-il dit, la "révolution orange" qui a secoué l'Ukraine ces dernières semaines "est une leçon très importante pour nous, car nous parviendrons inévitablement à ce genre d'événements si les tendances en cours dans les structures du pouvoir ne sont pas surmontées".
"Ce qui s'est passé en Ukraine ne peut être qualifié autrement que comme une révolution victorieuse : les gens ont d'abord fait preuve d'une mobilisation massive, puis l'ont emporté dans une lutte politique ouverte, honnête et dure", a enfin dit le conseiller du Kremlin.
Les observateurs prédisent depuis des mois que les jours de M. Illarionov au Kremlin sont comptés, sans que son limogeage ait jusqu'à présent été annoncé ou qu'il ait lui-même démissionné.
"IOUKOS, L'ARNAQUE DE L'ANNÉE"
Dans son intervention, il a par ailleurs repris les vives critiques exprimées la veille sur l'affaire Ioukos, qu'il a de nouveau qualifiée d'"expropriation" et d'"arnaque de l'année". Il a même été jusqu'à se féliciter de la décision prononcée à la mi-décembre par un tribunal de Houston (Etats-Unis), sur requête de Ioukos, ordonnant la suspension de la vente par les huissiers russes des actifs du groupe.
"Nous ne pouvons que remercier le tribunal texan, qui a fait tout ce qui était en son pouvoir pour aider la Russie à ne pas se retrouver dans l'épouvantable fosse dans laquelle on la pousse", a dit jeudi M. Illarionov.
Le président russe, Vladimir Poutine, qui a lancé en septembre une réforme politique supprimant notamment l'élection au suffrage universel des gouverneurs, a personnellement défendu le déroulement de l'affaire Ioukos, qualifiant l'intervention du tribunal américain d'"inadmissible", et a pesé de tout son poids contre la "révolution orange" finalement victorieuse en Ukraine.
( Le Monde, 31.12.2004)
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L'Observatrice
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